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I.4 Chez le Docteur : Passacaille (variations 11 à 21)

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1.4.11 Onzième variation : des anneaux.

(7 mesures)

Le thème de la Passacaille dans cette onzième variation est comme en filigrane à l’intérieur de la partie vocale. Wozzeck, évoquant les cercles que font les champignons au sol, chante sur une ligne sinueuse, montante, descendante, puis montante qui sera exploitée dans la variation suivante :

Il a déjà évoqué ce phénomène dans la Rhapsodie à la mesure 227 :

C’est exactement le même texte musical qui est repris ici. La seule différence consiste dans le premier accord. Dans la Rhapsodie, nous avions [réb-mib-lab], et ici [réb-fab-lab]. L’explication est simple. Les accords initiaux de la Rhapsodie étaient respectés dans le premier cas :

Dans le second cas, nous retrouvons les accords que nous avions vu aux cors et aux trompettes dans les deux variations précédentes :

L’autre différence notable réside dans l’orchestration. Dans la Rhapsodie, c’étaient les cordes avec les violoncelles dans l’aigu qui décrivaient ces « anneaux » :

ici ce sera une musique chambriste, faite d’instruments solistes qui s’en chargera :

1.4.12 Douzième variation : des lignes et des cercles.

(1 mesure à 7 temps)

Nous voici ici à nouveau dans une variation condensée dans une seule mesure à 7 temps. La simple vue de la partition d’orchestre parle d’elle-même. Des lignes… des figures… Celui qui pourrait déchiffrer ça !

Le thème de la Passacaille est ici clairement énoncé à la trompette dans une ligne courbe. Le reste de l’orchestre, et la voix parcourent des formules issues de la gamme par tons entiers. La gamme par tons : quel meilleur moyen pour décrire la rondeur et la courbe. Il y a deux gammes par tons possible[7. Voir, à ce sujet, la théorie des « Modes à transpositions limitées » d’Olivier Messiaen.]. Celle-ci:

et l’autre, transposée au demi-ton supérieur :

L’orchestre et la voix (moins la trompette) sont distribués sur la première. La trompette, joue le thème de la Passacaille, et les quatre premières notes de ce thème sont issues de la deuxième gamme. C’est donc par complémentarité que Berg distribue ces deux éléments dans la texture orchestrale.

1.4.13 Treizième variation : la valse des diagnostiques.

(7 mesures)

Cette treizième variation marque une brusque coupure dans la continuité. Le Docteur va pouvoir enfin livrer son diagnostique. Les sept précédentes variations étaient consacrées à Wozzeck. Leurs textures étaient celles d’une musique de chambre avec de nombreuses interventions solistes. C’est le tutti orchestral qui entre ici brutalement lors de la menace du Docteur : « Wozzeck, il va aller dans une maison pour les fous. » . Une péroraison des 4 flûtes et des 4 clarinettes produit un accord répété de « mi mineur ». On a déjà rencontré la présence de ces accords parfaits mineurs dans les moments de grandiloquence du Docteur (cf. début de la quatrième variation), et c’en est un ici. Cet accord trouve son origine dans les sons 2 et 3 du thème de la Passacaille (si et sol), le mi-naturel remplace le mi-bémol. Dans la seconde mesure, intervient le premier son (ré#) , puis l’accord se modifie dans la troisième mesure en [mi-sol-si-do], soit un accord de « do majeur » avec septième. Le « do » est, à ce moment-là joué par les violoncelles et contrebasses, qui exposent le thème principal :

Intervient alors un nouveau motif, joué aux violons, que nous n’avons pas encore entendu, et qui jouera un grand rôle dans le second acte : le motif du Docteur proprement dit :

Suit alors quatre mesures pendant lesquelles le Docteur se dit ravi de constater qu Wozzeck « a une belle idée fixe ». Il va commencer à dérouler un chapelet de termes médicaux en latin. Probablement pour ironiser sur l’aspect savant, mis en avant par le Docteur, Berg fait intervenir ici un motif qui est noté « quasi langsamer Walzer » :

Très souvent lorsque le Docteur aura à faire une sorte de diagnostique, ce motif de valse interviendra. Nous le verrons à la mesure 600, lors de dix-huitième variation, puis beaucoup plus tard, lors de la Fantaisie et Fugue du deuxième acte, à la mesure 213. À chaque fois, le Docteur donnera un diagnostique. Ici il s’agit de l’idée fixe, et Berg fait porter ces mots par le motif x :

1.4.14 Quatorzième variation : de l’aberration mentale.

(7 mesures)

Si le Docteur croit détecter une « belle idée fixe » dans l’esprit de Wozzeck, Berg en découvre une plus belle encore dans celui du Docteur. Lorsque celui énumère « aberration mentale partiale du deuxième type », Berg le fait chanter sur un motif que nous avons déjà rencontré (cf. mesure 142), celui de l’obsession caractérisé par un intervalle qui s’agrandit à partir d’une note pivot :

La musique d’orchestre qui accompagne ce motif mérite attention. Les cors 1 à 4 jouent respectivement un même arpège descendant, tandis que les clarinettes produisent une sorte d’écho sur chacune des notes. Ainsi la 4ème clarinette prolonge la 5ème note du premier arpège, la troisième clarinette prolonge la 4ème note, la seconde clarinette la 3ème note et la première clarinette la 2ème note. Ainsi, peu à peu les clarinettes reconstituent un accord formé de la superposition des notes de l’arpège :

Il faut dire quelque mots sur cet arpège. Le procédé qu’utilise Berg est le même que dans la variation précédente. Nous avons : si, lab, mib, si et sol. Comme, dans la variation précédente, il avait altéré la première note du thème (mi bémol devenant mi naturel), il altère ici la seconde : sol devenant la bémol.

La suite de cette variation reprend certains éléments de la précédente. Les sextolets de clarinettes sur l’accord constitué précédemment font écho à ceux du début de la variation précédente, et la descente d’accords en croches, dans les deux dernières mesures, rappelle celle de la troisième mesure. Il faut aussi remarquer que la dernière phrase descendante chantée par le Docteur, reprend l’arpège de mi mineur qui constituait la première intervention du Docteur de la treizième variation. Les parties de cordes, qui l’accompagnent, sont aussi écrites sur les mêmes harmonies (do majeur avec septième) que celles de la mesure 564, pendant que les trompettes, puis la clarinette basse et les bassons, jouent le motif de la science. Nous observons aussi le motif du « Docteur » joué aux violoncelles.

Le thème principal peut se détecter dans l’arpège du début (mib-si-sol), puis au tuba dans les mesures 574 et 575. Il manque les trois dernières notes : fa, lab et ré : ce seront elles qui introduiront la variation suivante.

1.4.15 Quinzième variation : le bonus.

(7 mesures)

Le Docteur est tellement content d’avoir détecté cette « aberation mentalis, zweite Spezies ! » qu’il propose à Wozzeck un bonus : il va lui donner des suppléments. Pour montrer cet emportement fougueux, Berg double carrément le tempo. À partir de cette variation, et jusqu’à la fin de cette Passacaille, le tempo sera toujours dans des valeurs extrêmement rapides. C’est-à-dire, que dans la variation qui nous occupe, les 7 mesures à deux temps qui la constituent n’excèderont pas trois secondes et demi !

Le thème de la Passacaille est groupé en accords de 3 sons :

Berg forme un petit motif que l’on verra courir, des violoncelles et contrebasses, au violoncelle solo et au piccolo, pour terminer chez les bassons et la harpe qui est un petit montage sur deux cellules provenant du thème principal. Il s’agit de la transposition des sons 9, 10 et 11 sur le 12ème son comme ceci :

La façon dont ces motifs s’enchaînent, lors des quatre premières mesures, obéit aussi à un principe rigoureux. La première transposition se fait sur la dernière note : « do », la seconde, sur l’avant dernière : « mi ».

Une autre organisation de ces motifs est donné dans la partie vocale tel que nous pouvons l’observer. Les sons 7 à 12 sont précédés d’un do#. Berg profite du fait que la quarte augmentée qui sépare les sons 7 et 8 se retrouve entre les sons 11 et 12. Ce type de travail sur les relations d’intervalles est ici proche de ce que sera la technique sérielle, quelques temps plus tard, principalement dans les œuvres d’Anton Webern :

1.4.16 Seizième variation : l’inventaire.

(7 mesures)

Le Docteur se renseigne maintenant sur l’emploi du temps de Wozzeck. Il fait l’inventaire de ses petits devoirs et petites manies : rase-t-il toujours son Capitaine ? Attrape-t-il toujours des lézards ? Une découpe en groupes de 2 mesures articule cette variation. Le cor, doublé par la harpe, expose le thème sous une forme que n’aurait pas désavoué Schœnberg. On y trouve ce qu’il avait étudié chez les classiques viennois et qu’il appelait « la petite forme ternaire » [8. In « Fundamentals of Musical Composition » d’Arnold Schœenberg. Part II : ths small ternary form. Édité chez Farber and Farber Lmtd.] :

1- Un modèle de 2 mesures est composée sur les 2 premiers sons du thème principal à la basse. L’accompagnement en croches est lui aussi constitué par les notes du thème groupés par accords de 3 sons : [10-11-12], [1, 2, 3], [4, 5, 6], [7, 8, 9] :

2- Une reprise variée de ce modèle. La première mesure est une transposition une tierce majeure plus haut de la première mesure de la phrase précédente, la seconde est une variation libre avec un mouvement descendant des croches par intervalle de quartes justes :

3 – Une dernière séquence de 2 mesures avec une diminution double (les blanches deviennent des noires) et une disposition rythmique différente de la partie principale et de l’accompagnement :

Ne s’agit-il pas, encore ici, d’une tournure ironique ? Berg utilise une présentation formelle des plus classique au moment où le Docteur demande à Wozzeck si tout est bien en ordre dans sa vie ? La dernière mesure présente des traits qui montent furtivement vers l’aigu (sont-ce les lézards qui fuient ?) et qui se poursuivront au début de la variation suivante.

1.4.17 Dix-septième variation : l’argent du ménage

(7 mesures)

Cette variation est en deux séquences très nettement différenciées. La première est basée sur les 2 premières notes du thème principal jouées en trilles aux flûtes et introduites par les traits furtifs de la dernière mesure de la variation précédente. Les clarinettes, doublées par le célesta, transposent chromatiquement le motif x, groupé en accords de 3 sons :

Le thème de la Passacaille est partagé entre le Docteur et Wozzeck :

Mange-t-il toujours ses poix ?

Toujours, Monsieur le Docteur.

La seconde séquence est bâtie sur le thème de « l’obsession » qui réapparaît lorsque Wozzeck dit que c’est sa femme qui touche l’argent du ménage. Effectivement, dans la première scène du deuxième acte, nous verrons Wozzeck accomplir cet acte. Ici le motif de l’ « obsession » est joué en accords aux « trompettes (il s’agit du motif x resserré en accords de tierces mineures) en canon avec la voix, doublée par un violoncelle solo. La voix quitte le thème principal pour entonner le motif de l’obsession, mais on peut encore distinguer le thèmede la Passacaille dans certaines notes de sa phrase :

1.4.18 Dix-huitième variation : de l’enrichissement.

(14 mesures 2×7)

Les quatre dernières variations qui terminent cette Passacaille vont déroger à la règle des 7 mesures. Celle-ci en comptera le double. Une première séquence de 3 mesures consiste en une descente des trombones (le premier doublant la voix) basée sur les notes du thème :

Ce sera d’ailleurs le seul moment où le thème apparaîtra dans cette variation. De cette descente, participe aussi la flûte qui joue un trait d’apparence assez libre, mais à l’intérieur duquel nous pouvons reconnaître quelques cellules. Tout d’abord ce petit motif que nous avions entendu comme une transformation de la partie vocale du Docteur dans l’exposition du thème. Il s’agissait de cette descente de flûte lors de la deuxième mesure de la première variation :

et qui est imitée ici avec une conclusion qui cite, par avance, ce que le Docteur va chanter à la mesure 600 : mib-si-sol-mi :

Une deuxième séquence de 3 mesures reprends le motif de la « quasi langsamer Walz » entendu lors de la treizième variation. Le Docteur dit alors que Wozzeck est « un cas intéressant » et c’est la raison de cette conclusion de son diagnostique qui pousse Berg à citer ce motif :

Pendant ce temps les cordes préparent une progression chromatique qui est une préparation du retour du motif de l’obsession qui va culminer bientôt :

La troisième séquence compte 5 mesures et est construites sur des canons à partir du motif de l’obsession. Le cor anglais tout d’abord :

Le xylophone ensuite, sous une forme « hachée » :

Enfin, 3 violoncelles en pizzicati, introduits par le motif de la quinzième variation, qui jouera un grand rôle dans la variation suivante. Ces accords parallèles sont encore la superposition des 3 sons du motif x. La voix du Docteur chante la partie principale : Wozzeck va recevoir une augmentation. Finalement le Docteur, dans son obsession de trouver sa magnifique théorie, dont il va bientôt vanter l’immortalité, sait se montrer généreux vis à vis de son cobaye, s’il obéit bien toutefois :

À la mesures 605, le motif de l’obsession sera joué une dernière fois aux violons dans le climax de cette variation, tandis que le cor et la voix se doublent sur le petit motif issu de la quinzième variation.

Cette course poursuite sur le motif de l’obsession va se terminer dans une sorte de désolation. Malgré toutes les promesses financières que le Docteur vient de faire, Wozzeck retourne dans son propre monde. Il n’écoute plus. La fin de cette variation est de nouveau un « appel » à Marie. Le Docteur lui demande ce qu’il doit faire et ne comprend décidemment pas pourquoi Wozzeck ne participe pas avec enthousiasme de toute cette magnifique expérience. La fin de cette variation est inscrite dans un molto ritardando. L’orchestre est partagé entre le motif de Marie aux cordes (en bleu dans l’exemple ci-dessous), et le motif de la quinzième variation (en rouge) qui va irriguer toute la variation suivante. La musique se perd dans le grave, à la limite de l’audibilité.

Voici l’intégralité de ce passage, de la course-poursuite sur le motif de l’obsession, jusqu’à la désolation finale.

1.4.19 Dix-neuvième variation : des poix, du mouton et de la culture de l’idée fixe.

(9 mesures)

Le Docteur doit maintenant prendre congé. C’est un homme très pressé. Il livre quelques derniers conseils pour faire revenir un Wozzeck, qui sombre dans la mélancolie, à une vie plus structurée. Il doit manger ses poix. Bientôt il commencera à manger du mouton, mais qu’il continue à raser son Capitaine et surtout qu’il cultive au plus haut point son idée fixe. A ce moment (mesures 618), les 3 hautbois jouent le motif de l’idée fixe !

Cette variation compte 9 mesure ! C’est la seule qui ne soit pas dans un rapport simple avec le chiffre 7 qui règle toutes les proportions de cette Passacaille. L’essentiel du matériel musical est donné par les cordes. Le motif de la quinzième variation est joué en canon entre un alto et deux violons solo. Ce motif est un petit peu transformé, et dans sa forme actuelle, il compte 7 notes ! Ce que Berg a perdu dans la proportion de la variation, il le réintègre dans celle du motif. L’écriture des cordes est traitée d’abord en soliste, mais chaque groupe va peu à peu se grossir jusqu’à 4 instruments. Ce sont d’abord les seconds violons, puis les premiers, et enfin les alti. Il faut également noter comment Berg élimine, instrument par instrument, le groupe des seconds violons dans les mesures 616 et 617 :

Notons également que dans les dernières figures de deux croches, la seconde croche de chaque groupe donne les quatre premiers sons du thème de la Passacaille. Ce thème sera pratiquement réduit à ses premières notes (le motif joué par les cordes, issu du motif x, comporte évidemment les trois derniers sons), éclatées entre l’extrême aigu et l’extrême grave aux piccolo et contrebasson jouant des figures inversées :

Les parties de cordes, dans les trois dernières mesures, font entendre le profil mélodique de la « quasi langsamer Walz » lorsque le Docteur demande à Wozzeck de « cultiver son idée fixe » (notons qu’il chante ce mot sur les mêmes hauteurs que lors de valse à la mesure 566) et terminent par une répétition du motif de la quinzième variation avec élision d’une note à chaque reprise :

1.4.20 Vingtième variation : les lois de l’immortalité.

(18 (3×7) mesures)

Nous voici presque arrivé au terme de la Passacaille. Ces deux dernières variations portent la grandiloquence du Docteur à son paroxysme : « Oh ! Ma théorie ! Oh ma renommée ! Je serai immortel ! Immortel ! Immortel ! ». Le personnage du savant fou, que l’on retrouve dans le cinéma expressionniste de Fritz Lang avec le Docteur Mabuse, répète trois fois le mot « immortel ». Il le redira une quatrième fois dans la vingt-et-unième et dernière variation. Au niveau des proportions, c’est à celle-ci que Berg accorde le plus d’étendue : 18 mesures, soit le double de la précédente et le triple de toutes les autres. Mais cela ne concerne que les proportions écrites car le tempo est ici prestissimo et c’est le plus rapide de toute la Passacaille. Certaines des variations peuvent être plus longues au niveau de leur durées réelles, mais c’est celle-ci qui reste la plue développée au niveau de sa structure.

Trois mesures d’introduction reprennent le procédé utilisé lors de la troisième variation, lorsque les cordes déroulaient un canon sur le motif de la science. Le principe est le même : chaque cellule des quatre sons descendants par tons entiers est transposée un demi-ton plus bas à chaque reprise et chaque voix entre à la quarte supérieure de la précédente. Le résultat donne une polyphonie de 1 à 7 voix, jouée par les cordes en pizzicati, produisant des accords par quartes superposées [9. Ce type d’accord est typiquement bergien. On en trouve de nombreux exemples dès saSonate pour piano opus 1. Il faut remarquer qu’il apparaît de façon systématique dans la Kammersymphonie opus 9 de Schœnberg, et plus éloigné dans le temps, on le trouve chez Scriabine et dans la 7ème Symphonie de Mahler] :

La voix chante sur le même motif en valeurs longues.

Cette progression des pizzicati mène à une première séquence de 5 mesures : un accord, répété 6 fois, jouée par les cors, les piccolos et les hautbois qui est un resserrement de l’accord par quartes final. Si on le déroule dans une disposition scalaire, nous obtenons la série : sol, do, fa, sib, mib, lab et réb. Le « mib » est répété deux fois dans l’accord pour une raison de symétrie : cet accord, déroule la même série d’intervalles en montant et descendant : 5, 3, 2, (15), 2, 3, 5 :

Quatre clarinettes déroulent une phrase montante, en triolets de croches, bâtie sur le motif x (en fait elle renvoie à une exploitation de ce motif qui est la première phrase chantée par le Docteur dès l’exposition du thème à la mesure 488) :

L’accord se transpose un demi-ton plus bas (la série est maintenant : fa#, si, mi, la, ré, sol, et do) et prend une autre disposition à la mesure 626, tandis que la trompette répond à la montée des clarinettes précédente dans une phrase qui est, comme les cordes au début, dérivée de la troisième variation (cf. violon solo à la mesure 512) :

Une deuxième séquence reprend le matériel de la première en 4 mesures. L’accord, répété ici 4 fois, est toujours basé sur le même principe des quartes superposées, mais avec deux notes manquantes : le « si » et le « mi ». Voici comment l’on peut réduire ce nouvel accord : sol#, do#, fa#, (si et mi manquants) la, ré, sol, do et fa :

La phrase des clarinettes est reprise un demi-ton plus haut que la précédente fois, superposée à une phrase jouées aux violons qui est la citation de la phrase chantée par le Docteur lors de l’exposition du thème : « Die Welt is schlecht, sehr schlecht ! ». Cette phrase sera transposées au demi-ton supérieur dans toutes ses répétitions dans les parties de violons jusqu’à la fin de cette variation :

L’accord qui, à la mesure 630, sert d’aboutissement aux 4 accords répétés n’est plus issu d’une série de quartes justes, mais sa réduction scalaire montre qu’il est une transposition de deux accords de trois sons chacun :

Une comparaison entre la figure de trompette de la mesure 630, avec celle qui précédait, montre les relations de figures à figures :

La troisième séquence (mesure 632) est encore réduite d’une mesure par rapport à la précédente : 3 mesures avec 3 répétitions d’accords. L’analyse de ces accords est maintenant difficile à établir du point de vue harmonique. On peut le voir comme une autre distribution par quartes superposées dont une note serait haussée d’un demi-ton : sol, do, fa, sib, mib, la naturel (au lieu de la bémol), réb et solb :

L’accord sur lequel ces répétitions débouchent semble tout aussi irréductible à cette analyse. On peut y déceler seulement la transposition d’un même groupe de 3 sons à partir du « ré# » : la-si-ré# et ré#-fa-la. La phrase des clarinettes est encore transposée d’un demi-ton plus haut que la précédente.

La dernière séquence de 3 mesure mais avec seulement 2 répétitions d’accords offre les mêmes difficultés d’analyse harmonique à partir d’une règle simple. Il y a, cependant, une autre structure pouvant expliquer le parcours de tous ces accords à l’intérieur de cette variation. Si nous prenons les notes extrêmes de chacun d’eux, les relations se font plus claires. On s’aperçoit alors que leurs parties supérieures n’est rien d’autre que le motif de l’obsession, tandis que la basse produit le renversement. Il s’agit alors d’un très long étirement de ce motif qui structure cette scène. La descente chromatique, qui est contenue dans le renversement du motif de l’obsession, se poursuivra lors de la très courte et dernière variation. Ce dessin chromatique de la basse assurera, sur 20 mesures, la transition entre cette vingtième variation et la suivante qui terminera la Passacaille :

Cette variation se termine dans une brusque descente des cordes qui est construite sur une mise en échelle des notes jouées précédemment (« Die Welt is schlecht »). Notons également que le thème de la Passacaille, proprement dit est pratiquement absent de cette variation. Il sera exposé en pleine lumière lors de la suivante. On peut se poser, par ailleurs, quelques questions sur l’orchestration de cette variation. Le célesta doublant les 4 clarinettes dans les phrases montantes ne semble pas d’une grande efficacité. On pourrait en dire autant de la phrase piano des violons aux mesures 628 et 629 qui doit lutter contre 4 cors, 2 trombones, 1 tuba et toute la petite harmonie. Berg, s’il eut des intuitions géniales dans l’orchestration – le célèbre Interlude sur la note « si » en est un des plus célèbre – ne semblait pas posséder le même sens des poids sonores que des compositeurs tels que Ravel, Stravinsky, Mahler, Strauss ou Webern [10. Pierre Boulez m’a souvent confié que, lors des répétitions des Orchesterstücke opus 6, il devait rectifier certains niveaux dynamiques compte tenu de la densité de la polyphonie orchestrale].

1.4.21 Vingt-et-unième variation : de l’extase à la sécheresse.

(7 mesures)

Cette dernière variation conclue la Passacaille dans la grandiloquence la plus totale. Tous les éléments mélodiques ont ici disparu. L’orchestre, en accords homophoniques massifs, expose le thème de la Passacaille, que l’on entend dans la voix supérieure. La ligne de basse poursuit la descente chromatique commencée dans la variation précédente :

La voix, « dans la plus haute extase », doublée par le trombone, s’oppose aux triolets de blanches de tout l’orchestre, mais l’accompagne dans sa descente, sur les 5 premiers sons du thème :

Cette extase, chez un personnage aussi lunatique que le Docteur, se brise net sur le dernier son de tout l’orchestre. Reste un roulement de timbales sur le « ré# », la première note du thème, et une phrase a capella tout en tranchant et en sècheresse : « Wozzeck, qu’il me montre maintenant sa langue ! ». Ce n’est que maintenant, à la toute fin de la scène, après toutes ces élucubrations, que le Docteur procède à un début d’examen physique :

Cette phrase renvoie directement au début lorsque, sous le « mib » des violoncelles, le Docteur chantait :

Compte tenu du tempo très lent du début et du prestissimo de la fin, ces deux phrases restent proches dans leur caractères : celui d’une réprimande et d’un ordre.

1.4.22 Symétrie des ouvertures et des fermetures.

Nous ne savons pas si l’examen médical ne commence que maintenant que le rideau va se fermer, ou si les Wozzeck et le Docteur vont se séparer. C’est la richesse des situations, telles que Büchner les a imaginées, qui fait de l’inachèvement une force dramatique étonnante. Nous sommes loin d’un théâtre académique, avec ses entrées et ses sorties. Nous sommes devant une fenêtre ouverte sur un pan de réalité, et lorsqu’elle se referme, notre peur est encore plus grande.

Les onze mesures qui servent de conclusion à cette Passacaille sont organisées symétriquement par rapport à celles qui la précédaient. Le motif x était présenté, furtivement au cor anglais, avec une répétition à l’octave inférieure au contrebasson :

Il va revenir ici, à la fin de la Passacaille, des contrebasses, au contrebasson, en montant par la clarinette basse et le cor anglais, avant de s’éteindre dans l’aigu avec le hautbois, le piccolo et le célesta :

Reste deux mesures de roulement de timbales et, sans transition, l’Andante affettuoso va déployer toute sa sensualité. Le contraste des caractères, la non-continuité du temps, donnent une valeur sonore à cet inachèvement. Cette fin, proche d’un montage cinématographique, est une « fondu au noir ». La scène suivante s’ouvrira dans un autre lieu. Aucune continuité ne les relie. Une musique s’arrête, un autre, tout à fait différente va commencer.

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