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Variation XII : un souvenir de la troisième

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Nous avons affaire ici à une variation qui ne va exploiter qu’un seul motif dans une continuité totale. Seuls les changements d’harmonies  seront présents pour structurer le temps et les différentes phases et phrases de cette variation. Il s’agit d’une sorte de continuum à l’intérieur duquel Beethoven va organiser une grande variété de présentation de ce même motif sous ses formes originales et  renversées à grands renforts de notes de passages et d’appogiatures, parfois même en double. Le début présente ce motif tournoyant sur lui-même qui progresse à la main gauche par transposition à la tierce, puis rejoint par la main droite sous forme d’accords de sixtes parallèles :

Il est évident que ce motif est une transformation de cette figure de la main gauche dans le thème de Diabelli :

La figure suivante, continue cette progression en tierces vers l’aigu à la main gauche, tandis que la voix supérieure de la main droite répète le motif précédent.  Cependant les deux voix inférieures jouent le renversement de ce motif qui se superpose à l’original à la voix du haut. La musique de Beethoven regorge de ces petites formules qui, grâce à leurs simplicités mélodiques et leurs faibles ambitus (ici il s’agit de broderies et de notes de passages sur l’arpège de la dominante « sol ») permettent aisément de nombreuses combinaisons :

La quatrième figure poursuit cette ascension vers l’aigu mais avec un écartement de l’ambitus car la main gauche revient à la formule initiale tandis que les deux voix supérieures jouent le renversement :

La cinquième et dernière figure de cette première phrase parachève cette progression en conservant la formule renversée à la partie supérieure et originale à la partie inférieure, mais nous voyons apparaître un élément nouveau dans la voix du milieu sous la forme de ce petit mouvement chromatique qui est une contraction du motif. Rien n’empêchait Beethoven de le poursuivre mais il a sans doute préféré donner ce sentiment de stabilité harmonique pour marquer la fin de cette première phrase. A noter que l’élément chromatique de la partie médiane est annoncée par le « do# » de la basse : 

Nous avons donc eu la construction suivante avec O pour original, R pour renversement et C pour contraction:

                                         O   O   R   R

                                         O   R   R   C

                                    O  O   R   O   O

La seconde phrase sera d’un aspect plus simple puisque nous voyons que seules 2 voix sont utilisées pour les deux première formules, la troisième entrant lors de troisième et dernière formule, et seule le motif original est ici présent : 

Mais le fait d’être plus simple sur un plan permet de laisser la place à une nouvelle organisation sur un autre. Le mouvement s des ambitus ne reproduira pas la progression vers l’aigu que nous avons rencontré lors de la première phrase. Les la seconde formule est une tierce mineure plus basse que la première et la troisième marque un brusque saut vers l’aigu à la main droite brisant ainsi la continuité qui était de mise au début. Autre fait marquant, si nous sommes bien dans une période de 8 mesures comme dans le thème originale, elles sont ici découpées de manière asymétriques en 5 + 3 formules. A noter également que Beethoven ne reproduit plus l’harmonie du thème (tonique et dominante) mais que nous avons ici une relation inversée : dominante puis tonique.

Nous voici maintenant dans l’épisode des séquences. Si  nous retrouvons ici les mêmes harmonies que lors de la phrase équivalente dans le thème de Diabelli (I – IV – I – IV / II – V – II – V / III – VI – III – VI ), ces harmonies ne se feront pas suivant les mêmes proportions régulières. En effet, nous avons ici : I – IV – I – IV / II – V / III – VI – III – VI – III – VI. Comme pour la première phrase, nous retrouvons le même nombre d’accord (12) mais au lieu d’être répétés de 2 en 2, ils seront disposé suivant les proportions : 2, 1, 3. La première séquence réintroduit le mouvement mélodique présent dans le thème : mi et fa qui, ici bien qu’à la même place, se trouve successivement placé dans la voix supérieure puis médiane de cette conduite à 3 voix :

La seconde séquence (celle qui nous conduit à la dominante) ne sera répétée qu’une seule fois avec une reprise à la voix médiane de la formule « do-si » qui répond à la voix supérieure dans les deux temps précédents. Notons que cette progression d’harmonies vers l’aigu est contrariée par un rétrécissement d’ambitus par le fait que la voix supérieure varie le motif de la première séquence sur une note plus basse (do) que celle qui commençait la première (ré bémol) :

La dernière séquence, répétée trois fois, fait entendre à la basse le motif principal de cette phrase dans le thème : seconde mineure et tierce montantes :

Le rétrécissement observé précédemment se retrouve ici entre la basse, toujours montante, et la partie supérieure. Ce petit phénomène introduit une découpe rythmique qui peut alors être interprétée comme suit si l’on se réfère au mouvement de la partie supérieure :

         a)    première séquence sur 3 temps :

         b)    seconde séquence sur 6 temps :


     c)   troisième séquence variant la précédente sur 6 temps :

d)    quatrième séquence répétant textuellement la seconde partie de la troisième :

Une caractéristique de cette variation est l’absence de reprise de la première partie. La barre de reprise ne se situe d’ailleurs pas à la cadence à la dominante pour une raison facile à comprendre : Beethoven, dans les mesures 33 à 35, réécrit ce qui se trouve dans les mesures 17 à 19 car il souhaite maintenir l’écriture à 3 voix qui termine la seconde partie lors la « reprise »n alors que la seconde partie débute à 2 voix, puis «  voix et 2 voix encore. Il suffit de comparer le début de la seconde partie :

Et sa réécriture :

Cette seconde partie commence par une extension de ces progressions dans l’aigu qui ici ne seront pas uniquement de l’ordre de l’harmonie mais aussi de la registration. Voici cette progression qui part du médium de l’instrument pour atteindre les régions suraiguës. Ici encore, nous voyons une autonomie de l’organisation formelle par rapport à l’harmonie. Les 4 formules montantes de 6 croches correspondent à la première phrase. Il s’agit de broderies et notes de passages sur l’accord de dominante. La seconde phrase qui ne comportera que 3 groupes de 6 croches commence lorsque la registration parvient au suraigu et il n’y a pas de changement de direction dans les registres à ce moment-là. On ne perçoit presque pas le basculement harmonique (lorsque les formules s’accrochent sur la tonique avec septième) car il est enveloppé dans la montée progressive. Voici la toute fin de cette progression dans les registres :

Survient alors une réminiscence de la troisième variation avec cette séquence immobile sur une basse en boucle obstinée. Cette séquence se trouve d’ailleurs à la même place que celle de la troisième variation. Rappelons cet étonnant passage :

Ici, la figure de basse commence par le motif renversé :

Suivi du motif original qui sera repris en boucle :

Le tout donnant cette formule :

La partie de la main droite, en produisant des accords sur le troisième temps, liés sur le premier, achève de donner la plus grande ambiguïté rythmique à ce passage car ces accords tombent au même moment que le début des figures de 6 notes enchaînées à la main gauche. Il y a donc à toutes les parties, une mise en évidence du troisième temps et une négation du premier :

D’un point de vue harmonique, il s’agit d’une dominante (avec 9ème mineure) sur le premier degré, puis d’une sous dominante mineure, puis majeure, de nouveau une 9ème de dominante sur le premier degré, puis d’une septième diminuée sur la dominante du ton principal. La figure de basse, qui tourne autour de la note « do » verra celle-ci successivement avoir les fonctions de fondamentale (sur le premier degré), de quinte (sur le quatrième) de fondamentale à nouveau puis de pédale de tonique superposée l’accord de dominante à la main droite.

La fin de cette variation prolongera cette pédale de tonique à la main gauche tandis que les autres voix reprendront les accords de sixte dans une progression du grave au médium.