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Parsifal : entre passé et avenir. (1997)

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Lorsqu’on entend le début de Parsifal, on est immédiatement frappé par l’aspect incroyablement plastique de cette musique. Une phrase, donnée aux violoncelles doublée aux bois graves accomplit un mouvement ascendant et descendant. Une sorte de récitatif évoquant le lointain souvenir des anciennes monodies grégoriennes. [1. Ce motif a été déjà utilisé par Mendelssohn dans sa Symphonie Réformation ce qui a été reproché à Wagner. Il s’agit, en fait, d’une mélodie religieuse connue sous le nom de l’Amen de Dresde que Wagner pensait d’ailleurs être beaucoup plus ancienne qu’elle ne l’est en réalité.]. Une musique se rappelant le temps ou n’existaient ni l’harmonie ni la polyphonie. Ce qui est ici exposé dans la plus parfaite simplicité va être maintenant transfiguré dans texture orchestrale qui reproduira ce mouvement montant et descendant jusqu’aux extrêmes limites de l’orchestre. Ici, tout le son orchestral, d’une extraordinaire limplidité, tel un spectre se déployant du grave vers l’aigu puis retournant vers le grave, reproduit le mouvement général de la monodie initiale. Wagner préfigure les couleurs et les formes que l’on retrouvera plus tard chez Debussy et jusque dans certaines oeuvres de notre époque : la conception d’un son total dans lequel les différents instruments sont tellement fusionnés qu’il est parfois impossible de les distinguer les uns des autres. Ce passage, entre autres, donne un parfait exemple de la place dans laquelle se situe Parsifal : entre passé et avenir.

 

Wagner laisse entendre que, pour lui, passé et avenir sont les termes d’une équation à deux inconnues. Si l’avenir est une inconnue par définition, dont Wagner cependant entends en tracer la voie, le passé dont il est question ici est tellement éloigné de son époque qu’il ne peut être que mythique. C’est presque un « hors-temps ». Ce refus d’appartenir à une généalogie continue a, chez lui, des racines très profondes dans sa propre histoire. Les héros sans ascendant peuplent ses livrets d’opéra. Parsifal en est un, auquel Kundry apportera bien des informations sur sa propre enfance. Le parallèle avec la propre histoire de sa vie a souvent été relevé surtout en ce qui concerne la véritable identité de son père qui laisse planer un doute sur sa possible judéité. Mais, au delà de cette question, cette attitude est de celles que l’on rencontre souvent chez les créateurs visionnaires. Le présent et le passé récent sont souvent vécus comme des obstacles à la création de la nouveauté et le recours à une tradition mythique pour créer du nouveau se constate dans bien des cas. Le Sacre du Printemps, entre autres, en est un exemple connu et l’usage que fera Debussy des modes grecs anciens, en regard duquel, on le verra, Parsifal est un modèle, est là aussi pour en apporter la preuve. Il y a là une espérance que le « très ancien » et le « très nouveau » soient perçus un peu de la même façon, car si nous n’avons aucune référence pour le second, nous n’en avons guère plus pour le premier. Mais la nature de nos actes trahissent plus véritablement notre personnalité que nos volontés. Les actes de Wagner, en l’occurrence, ne le font pas échapper à cette règle. Ils nuancent substantiellement la propre image qu’il aurait aimé donné de lui. A bien des égards, c’est en homme de son temps que Wagner s’exprime, et il est probablement plus apte à définir l’avenir qu’à faire revivre le passé.

 

En parlant d’un temps mythique Wagner ne fait que mettre un masque avec lequel il travestit la réalité de son propre temps. Comment, d’ailleurs, pourrait-il en être autrement ? Les connaissances du médiévisme sont, certes, plus complètes aujourd’hui qu’au XIXème siècle, mais Wagner ne fait pas oeuvre d’historien mais d’artiste. Son médiévisme est, bien entendu, imaginaire et non réel, et son rapport à cette période pose une quantité de questions. C’est là, surtout, que la différence entre le Wagner poète et le Wagner musicien creuse un abîme. Sa vision théâtrale est celle d’un bourgeois cultivé du XIXème siècle et ne va guère plus loin que celle de certains cinéastes d’Hollywood qui ont voulu montré de l’Antiquité. Une vision « folklorique » des valeurs qu’on imagine être celles de ce temps-là. Sa vision musicale, au contraire, opère un immense mouvement basé sur une réflexion, confondante d’imagination, sur les éléments de son propre langage.

 

D’un point de vue théâtral se côtoient une foule d’éléments aussi anachroniques les uns que les autres. D’un côté, une période mythique, des valeurs chevaleresques, le calice contenant la quintessence de la civilisation chrétienne, la magie, l’ésotérisme. Tout cela, bien sûr, est prélevé directement du Perceval  de Chrétien de Troyes que Wagner connut dans la traduction allemand de Wolfram von Eschenbach. De l’autre, une imagerie « typiquement XIXème siècle » avec des filles-fleurs évoquant une sorte de vieille carte postale « très kitsch », tentant de séduire le « fol » Parsifal sur un rythme de valse. [2. Ce procédé a été utilisé au moins deux fois chez Wagner. Les jeux des filles du Rhin avec Albérich dansL’or du Rhin et surtout avec Siegfried dans Le crépuscule des Dieux présentaient également cette confrontation d’éléments séducteurs féminins se jouant, en groupe, d’un mâle fort peu « dégrossi », sont autant d’esquisses diverses sur un même motif. La comparaison entre cette dernière scène et celle des filles-fleurs dans Parsifal est d’ailleurs riche d’enseignements. On y retrouve les mêmes rapports vocaux, les mêmes façons d’opposer les timbres et les tempi suivant que ce soient les voix des jeunes femmes ou celle du ténor qui interviennent, les mêmes tournures « enjolivées » des éléments mélodiques « séducteurs ».]. Un monde de l’innocence, dans lequel s’incarne un héros naïf qui ne connaît pas ses origines, ni ne comprends celui dans lequel il est plongé, mais qui finira par triompher en rédempteur d’un monde des ténèbres incarné par le fourbe Klingsor et par une Kundry fréquemment en état de démence. Un cygne déjà entrevu dans Lohengrin (le fils de Parsifal en fait). Un hymne très panthéiste aux beautés de la nature. Bref, toute une typologie de caractères et de situations dans une histoire dont, le moins que l’on puisse dire, est qu’elle contient pas d’unité stylistique évidente. Il fallait bien tout le génie musical de Wagner pour donner une cohérence à tout cela.

 

L’anachronisme des situations dramatiques n’est cependant pas sans influences sur le comportement musical. Et c’est ici qu’intervient une des choses les plus troublantes de cette oeuvre : l’intégration d’une grande diversité des contextes musicaux (j’ai déjà invoqué le chant grégorien et Debussy, mais Palestrina, Beethoven, ainsi que Strauss [3. Les parallèles entre les opéras de Wagner et ceux de Strauss sont nombreux. Parsifal, en l’occurence, est très présent dans La femme sans ombre non seulement au niveau de l’ésotérisme et de la magie, mais aussi dans le recours à des formules musicales identiques, telles que les marches lentes et hiératiques. Le personnage de la nourrice renvoie à celui de Kundrys par sa tessiture étirée et tendue et par son côté de « femme négative » proche du démon que l’on retrouvera aussi dans les personnages de Salomé et d’Élektra. Strauss, se souviendra aussi de Parsifal dans la scène finale du premier acte du Chevalier à la rose dans laquelle Octavian et la Maréchale se font des confidences sur une musique principalement tissée autour des cordes rappellant, par bien des aspects, la « berceuse » que chante Kundry à Parsifal dans le second acte.] et Schoenberg peuvent également l’être) se produit dans une continuité stylistique d’une cohérence et d’une unité extraordinaire. C’est évidemment le vieux dilemme de la variété et de l’unité qui se fait jour mais d’une façon très particulière ici. La manière dont fonctionne le langage de Wagner ne varie pas, mais ce sont les éléments de ce langage qui prennent des fonctions différentes suivant les cas. Le choix d’un modèle d’écriture est, bien évidemment, soumis à la contrainte dramatique et les nombreux contextes harmoniques, pouvant aller de la modalité pré-tonale jusqu’à une préfiguration de ce que sera la fin de l’harmonie avec Schoenberg, ont des corrélations précises avec les situations mises en place par le livret.

 

Modalité et diatonisme

 

Tout ce qui est lié au caractère cérémonial, au Graal, à l’époque chevaleresque, aux scènes lentes et hiératiques, est symbolisé par un style, à première vue, archaïque, dans lequel apparaissent les choeurs, tantôt à l’unisson comme dans la musique grégorienne, tantôt chantant à quatre voix. L’harmonie semble fréquemment faire référence à des tournures « archaïsantes » mais il s’agit ici plus d’un pastiche que d’une réutilisation des méthodes d’écritures qui étaient celles du passé: une sorte « restauration » comme lorsqu’en peinture on utilise des techniques récentes pour redonner à un tableau une apparence proche de celle qu’on imagine être l’originale. Ce procédé stylistique a été déjà d’ailleurs relevé à propos des Maîtres Chanteurs , par Adorno en particulier, avec l’utilisation d’éléments contrapuntiques de l’époque baroque. Le même anachronisme se faisait jour aussi dans cet opéra mélangeant « époque médiévale » et « style baroque » tout comme Strauss introduira une valse dans le XVIIIème siècle du Rosenkavalier. Dans Parsifal il s’agirait plutôt d’une restauration d’éléments stylistiques appartenant plus au Moyen-Âge et à la Renaissance qu’à l’époque baroque. Les choeurs à l’unisson renvoient immédiatement à la musique médiévale d’avant la polyphonie. L’aspect modal, le diatonisme, les techniques de renversement mélodique, les procédés canoniques, la grande régularité rythmique très fréquemment à l’intérieur de mesures lentes à 6 temps (dans le motif de la Foi), peuvent évoquer une sorte de Palestrina dans un contrepoint qui n’en est cependant pas un. Pas plus que dans les Maîtres Chanteurs, Wagner ne prend « au pied de la lettre » le style musical de référence. Il s’agit plutôt de donner l’illusion d’un style que d’en respecter les règles et les contraintes. N’en serait-ce que pour preuve le maintien de la hiérarchisation des voix à l’intérieur des mouvements mélodiques. Wagner ne compose pas une vraie polyphonie dans laquelle chaque voix possède la même importance, ce qu’il a fait cependant dans la fugue du second acte des Maîtres Chanteurs, mais travestit ses progressions harmoniques avec des éléments ayant l’apparence de la polyphonie. Lorsqu’il lui arrive de composer polyphoniquement, ce qu’il fait dans les canons vocaux sur le motif de la Foi au premier acte, l’écriture à quatre parties n’est en fait qu’un leurre. D’abord il s’agit de quatre parties aiguës (les voix d’enfants) qui ne reproduisent en aucun cas la tessiture réelle d’un choeur mixte, et surtout parce que les superpositions polyphoniques rigoureuses n’excèdent pas deux voix, généralement les voix extrêmes, les parties internes fonctionnant plus « harmoniquement » que « polyphoniquement ». L’écriture serait ici plus proche de celle d’un choral que d’une véritable polyphonie. Mais c’est justement cette fidélité à des conceptions d’écriture, sommes toutes basées sur la très classique conduite des voix à quatre parties, qui donne à ces différents emprunts une unité rendant possible le fait de naviguer entre diatonisme et chromatisme, tout en faisant preuve d’une extrême audace dans certains enchaînements harmoniques, sans rupture stylistique.

 

L’élément modal, dans Parsifal, n’est finalement pas tellement éloigné de celui que l’on peut rencontrer chez Debussy. Faire le rapprochement entre La Cathédrale engloutie et les cloches Montsalvat peut sembler incongru mais, si l’on fait exception du chromatisme, on y trouve le même rapport aux tons éloignés, la même absence de « note sensible », le même écho de sonorités graves. A ceux qui trouveraient cette comparaison hasardeuse, je ne saurai trop leur conseiller de jouer Parsifal au piano. La ressemblance de sonorité y est parfois troublante et il n’est pas interdit de penser que Debussy, qui était connu pour ses talents de réducteurs des opéras de Wagner au piano, ne s’en soit pas souvenu lorsqu’il a composé ce prélude. Debussy, on le sait, nourrissait une ferveur particulière pour Parsifal. Certes, c’est à cet opéra plus qu’à tout autre, qu’il devait penser lorsqu’il reprochait à Wagner de vouloir faire de la symphonie dans le drame, mais les retombées de Parsifal sur Debussy sont très nombreuses. Comment ne pas penser à sa conception des récitatifs, écrits sur une texture orchestrale très étirée, dans un temps suspendu, lorsqu’on entends les passages de Gurnemanz au début du premier et du troisième acte ? La marche lente vers le sanctuaire du Graal par laquelle commence la grande cérémonie du premier acte est implicitement citée dans l’interlude sur le motif de Golaud entre les deux premières scènes de Pélléas.  Le choix du diatonisme également. Chez Debussy le diatonisme est évidemment directement issu du piano : les touches blanches dans Pour le piano, La  Cathédrale engloutie ou En blanc et noir. Chez Wagner ne le serait-il pas également ? Les passages ou le diatonique s’exprime le plus clairement dans Parsifal (toujours dans la cérémonie du premier acte) sont bien tous en « do majeur » ! Wagner composait souvent au piano, cela ne fait pas de doute. Les Sirènes des trois Nocturnes pour orchestre ne sont pas très éloignées des filles-fleurs par certaines arabesques mélodiques mais surtout comment ne pas faire le rapprochement entre certaines conceptions formelles. Le prélude de Parsifal, en l’occurrence, est d’une absolue modernité de ce point de vue. La musique se dévoile en présentant successivement les motifs de la Cène, du Graal, de la Foi et de l’accablement en grands panneaux, sans transitions et dans des instrumentations totalement indépendantes. C’est un procédé, là aussi, dont se souviendra Debussy lorsqu’il composera le premier mouvement de La Mer.

 

La référence panthéiste à Beethoven.

 

Beethoven était probablement le seul compositeur en lequel Wagner pouvait admettre d’être le produit d’une descendance. Il avait acomplit, dans la symphonie, ce qu’il faisait désormais, lui, dans l’opéra. On connaît les sarcasmes qu’il réservait à son contemporain Brahms lui reprochant de ne pas avoir su briser le cadre symphonique et, à la fin de sa vie, Wagner pensait à une symphonie d’un genre nouveau. A cette époque, Wagner étudiait fréquemment les dernières oeuvres de Beethoven, en particulier les dernies quatuors à cordes. L’influence de ses lectures musicales est déjà visible dans le Crépuscule des Dieux avec le voyage de Siegfried sur le Rhin. Elle se retrouve ici en plusieurs endroits mais c’est surtout dans le moment de l’enchantement du Vendredi-Saint pendant lequel Parsifal rend grâce à la nature qu’elle est la plus perceptible. Le thème du Printemps qui parcours tout ce passage pourrait presque être un thème de Beethoven avec son apparente simplicité autour de cinq ou six notes conjointes comme l’était déjà celui de L’Ode à la joie. Le caractère « pastoral » et « panthéiste » enfin, fait que Beethoven ait été choisit ici comme référence. Mais le Wagner dramaturge n’en reste pas là. Le mouvement symphonique « beethovenien » s’interrompt à plusieurs reprises. L’affirmation tonale prévaut lorsque la nature est « chantée » mais se rompt lorsque Gurnemanz est en proie au tourment. Le langage se fait alors chromatique, des trémolos « dramatiques » interviennent, le rythme calme et régulier se brise, la thématique se modifie. Le retour périodique du motif du Printemps apparaît alors comme un retour à la stabilité et, dans ces moments, l’orchestre de Wagner semble faire écho à celui du mouvement lent de la IXème Symphonie.

 

Les accords vagabonds.

 

Le chromatisme est utilisé dans les passages les plus troubles comme, par exemple, ceux dans lesquels Kundry sera présente, ou lorsqu’il s’agira de présenter des situations ou le personnage est psychologiquement déchiré. Le chromatisme comme élément déstabilisateur de l’harmonie l’est à tous les sens du terme. Ce n’est là rien de bien nouveau car toute la musique de Wagner est en fait basée sur ce procédé, Tristan en est l’exemple le plus célèbre. Cependant, Wagner pousse le dérèglement des fonctions harmoniques plus loin qu’il ne l’avait fait dans Tristan . C’est dans cette conception d' »accords vagabonds » orientant le discours dans des régions tonales ambiguës que Schoenberg trouvera la voie qui le mènera ou l’on sait. A ce titre, le prélude du troisième acte est étonnamment prémonitoire de ce que seront l’harmonie dans La nuit transfigurée ou dans le premier quatuor du compositeur autrichien. Schoenberg, certes, mais Gustav Mahler et Richard Stauss se souviendront aussi de cet Adagio pour cordes. Et là encore, on perçoit une profonde adéquation entre les éléments musicaux et ce qu’ils sont censés représenter dans l’opéra. C’est la détresse puis l’errance de Parsifal qui sont symbolisées par ces harmonies incertaines. L’errance est évidemment aussi « harmonique ». L’incertitude entretenue des fonctions tonales n’a pas d’autre but que de souligner celle qui habite les protagonistes du drame à ce moment là.

 

L’opéra et le temple.

 

Parsifal, on le sait, était conçu par Wagner comme une cérémonie qui ne devait s’officier que dans un seul temple : celui que Louis II de Bavière avait permit d’ériger à Bayreuth. [4. Louis II accorda une exclusivité de trente ans pour cet ouvrage à Bayreuth. Il était d’ailleurs, la seule personne au monde a pouvoir transgresser cette règle, ce qu’il fit en 1884 à Munich « pour son propre plaisir ». Cosima fit un procès au Met de New-York qui osa produire le drame sacré en 1903. Un chanteur sera d’ailleurs « interdit de séjour » dans le Festspielhaus pour avoir osé y chanté le rôle. Elle perdit le procès mais continua à mener le combat de l’exclusivité jusqu’au début de la première guerre mondiale. Certaines reliques ont encore perdurées plus longtemps telles que celles de l’interdiction d’applaudir à la fin des actes. « Singerie inconsciente du sacré » disait Stravinsky.] Cette intransigeance a, heureusement disparue. Il est salutaire de trahir certains testaments. Cependant, au delà de cette étroitesse de vue qui consiste à produire le rite loin de toute contamination et pour un public « initié », il y a dans cette volonté de Wagner quelque chose de plus profond et de plus musical. L’acoustique du Festspielhaus, avec sa fosse enfouie en profondeur sous la scène (l’abîme mystique !), a ceci de particulier que le son qui s’en dégage ne permet pas de distinguer avec clarté l’emplacement géographique des instruments dans l’orchestre. C’est un son carrément monophonique qui en sort. L’examen de la partition orchestrale révèle une réelle volonté de fusion dans les timbres instrumentaux. Le Prélude, je l’ai dit au début, en est un des exemples le plus révélateur. Les complexes de timbres créés par Wagner par les fréquentes doublures n’ont pas d’autre but que de rendre ambiguës la perception d’un instrument quelconque. Ce procédé sera d’ailleurs fortement utilisé par Schoenberg, principalement dans la deuxième des 5 pièces opus 16 dans laquelle les mélodies se modifient constamment en couleurs par les fréquents changements de l’instrumentation. La klangfarbenmelodie n’est pas loin. La conception orchestrale du son total dans Parsifal trouve un complément remarquable dans la conception architecturale du Festspielhaus : ce qui est mélangé par l’orchestration l’est aussi par l’absence de repères géographiques. Ce serait le seul point intéressant dans cette volonté de conserver cette oeuvre uniquement dans ce lieu car l’aspect religieux, le choix du temple, l’idéologie et la morale qui sous-tendent cette oeuvre sont, à bien des égards sujets à caution. D’autres l’ont dit, et de plus grands que moi. Tout cela, je le sais. Mais lorsqu’on entend le début de Parsifal

 

 

                                                   Philippe Manoury

                                                   Paris, Juin 1997.