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Traité d’inharmonie

1.0 Sur quelques principes acoustiques fondamentaux

1.01 Il existe deux grandes familles de comportements sonores : les sons périodiques et ceux qui ne le sont pas.

1.012 Parmi les sons périodiques, ceux qui sont harmoniques sont constitués de fréquences reliées entre elles par des rapports simples : elles sont des multiples entiers d’une fréquence fondamentale. Les différentes ondes qui composent les spectres harmoniques se retrouvent régulièrement autour d’un point zéro, où convergent et d’où divergent toutes les phases de chacune d’elles. La répétition régulière d’apparition de ce point zéro (nombre d’apparitions régulières par seconde) détermine la fréquence du son qui, d’un point de vue perceptif, provoque une sensation de hauteur tonale.

1.013 Les sons inharmoniques ne comportent pas de points de convergence en phases sur la totalité des fréquences du spectre, comme ce point zéro. Ils ne possèdent pas une fréquence dominante, ou en possèdent plusieurs et, de ce fait, sont ambigus au niveau de la sensation de hauteur tonale.

1.014 Les sons bruités sont apériodiques. Cela ne signifie pas qu’ils ne comportent aucunes fréquences, mais que celles-ci varient en permanence. Comme l’a démontré Fourrier, tout ce que nous entendons peut être décomposé en une somme de sinusoïdes. Le bruit blanc qui contient théoriquement toutes les fréquences audibles est théoriquement décomposable en une infinité de sinusoïdes.

1.02 C’est la nature harmonique des sons qui renforce la sensation de hauteurs, les sons inharmoniques sont, de ce point de vue, complexes. Il est très difficile, voire parfois impossible, de leur accoler une hauteur dominante et repérable. Les sons inharmoniques les plus connus sont ceux des cloches ou des carillons.

1.021 Les sons purement harmoniques sont très rares dans la nature.

1.022 La plupart des sons instrumentaux traditionnels sont à la fois harmoniques, inharmoniques et bruités. On peut dire que la nature harmonique favorise une perception quantitative, la hauteur, tandis que les natures inharmoniques et bruitées révèlent des attributs qualitatifs : ceux qui définissent ce que l’on nomme, de façon approximative, le timbre.

1.023 Si l’on filtre la fréquence fondamentale d’un son harmonique, le cerveau la reconstitue de façon psycho-acoustique.

1.024 Ce que l’on nomme le timbre n’est pas mesurable ni définissable avec précision. Il est incohérent de le considérer comme un composant musical comme cela a été fait autrefois. Le timbre est un composé.

1.025 Ce fut une erreur théorique de la pensée sérielle que de concevoir la musique sous une forme paramétrée dans laquelle le timbre figurait au même titre que la hauteur, l’intensité et la durée.

1.026 Le timbre est composé (entre autres choses) de hauteurs, donc de fréquences. La fréquence est la variation régulière d’une amplitude – d’une certaine manière, d’intensité – dans une durée donnée. Les trois derniers composants sont dépendants les uns des autres. La timbre ne peut donc pas être admis dans la même famille.

1.027 Les composants inharmoniques apparaissent principalement au cours de l’attaque des sons. C’est ce que l’on appelle les transitoires d’attaques qui sont essentiels pour l’identification des différents timbres. Ces composants inharmoniques tendent, pour la plupart, à disparaître après l’attaque, mais le pourcentage d’inharmonicité varie non seulement d’un instrument à l’autre, mais aussi à l’intérieur du même instrument suivant sa registration. Les sons graves d’un piano, par exemple, sont très fournis en composants inharmoniques et ceux-ci tendent à s’amoindrir au fur et à mesure que l’on monte vers l’aigu.

1.028 La nature bruitée des sons est issue des modes d’excitations (frottements, percussion, souffle…) et est indispensable à la reconnaissance des timbres des instruments. Ainsi le bruit du mouvement du chevalet ou celui du crin de l’archet sur une corde sont essentiels à la reconnaissance d’un son de violon.

1.1 A propos de la notion (relative) de hauteur.

1.11 La théorie musicale occidentale classique s’est préoccupé de l’élément le plus mesurable de la dimension sonore : sa hauteur. Ce n’est que parce qu’une pensée abstraite sur la dimension quantitative des sons (les hauteurs) est apparue qu’ont pu se construire les polyphonies et les harmonies de la musique occidentale. Les civilisations non-occidentales n’ont pas opéré cette même abstraction et, de fait, n’ont pas adopté les mêmes modes de construction sonore.

1.111 Le souffle dans le flûte japonaise (Shakuachi) ou les éléments vibrants dans beaucoup d’instruments africains obéissent à des critères esthétiques qui ont été niés dans la pratique musicale classique en Occident. Les éléments hétérogènes y ont été réduits au profit de la construction de la polyphonie et de l’harmonie. La musique occidentale a opéré une standardisation des sons à l’intérieur de laquelle la cohérence du système a pris le pas sur l’individualité des éléments qui le constituent.

1.112 La musique occidentale n’est pas plus savante que certaines autres musiques, elle est seulement plus ordonnée. C’est peut-être parce que, dans le Quadrivium, elle était considérée comme une science mathématique, au même titre que l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie, qu’elle a été soumise à une telle rigueur dans ses lois de construction.

1.113 Notre connaissance du phénomène sonore est aujourd’hui d’une complexité sans cesse grandissante, et de cette connaissance naît des musiques dont le matériau et leurs principes d’élaboration ne peuvent plus se limiter à l’ancienne vision des sons avec sa répartition en paramètres simples. Il nous appartient d’élaborer une pensée formelle qui intègre cette connaissance.

1.12 Depuis près d’un demi-siècle on entend des compositeurs dire qu’ils ne composent plus une musique de hauteurs, mais une musique de timbre. Ils disent que ce n’est plus la hauteur qui gouverne en premier lieu la construction de leurs œuvres. Ce mode de pensée a été au départ prôné par les pratiquants des musiques électroniques et électro-acoustiques et a envahit progressivement une grande partie de la communauté des compositeurs. Elle indique que l’ancienne théorie était devenue trop étroite pour les besoins esthétiques actuels.

1.121 Le refus de la hauteur en tant qu’élément prédominant de la composition est une réaction à la fois au système tonal et au système sériel, voire même, plus récemment, à la pensée spectrale. Mais force est de constater qu’aucune théorie réelle n’est venue remplacer les anciennes théories existantes sur les hauteurs, ce qui n’implique pas que de grandes réussites n’aient pas été produites dans ce domaine.

1.122 Ecarter la hauteur du champ de la pensée et de la théorie musicale actuelle est une attitude à courte vue. La négation de la hauteur dans une conception créatrice devrait inclure sa négation dans le domaine de la perception. Ici apparaît un problème fondamental.

1.123 Il convient, avant tout, d’envisager la hauteur sous son aspect le plus important : celui de la reconnaissance de formes la plus instantanée et la plus précise qui se joue dans la perception de la musique.

1.124 Il y a un phénomène que l’on ne peut nier : le pouvoir discriminatoire de l’oreille dans le domaine des hauteurs est de loin l’appareil le plus rapide et le plus précis que l’oreille humaine dispose. Il n’y existe pas un seul composant musical dans lequel l’oreille serait la plus habile à identifier, classer, évaluer. Notre perception des durées et des niveaux dynamiques est beaucoup plus faible, et quant il s’agit des bruits et autres phénomènes instables et non-périodiques, l’éventail de nos possibilités de reconnaissance formelle est encore bien inférieur.

1.125 Demandez à un jeune enfant, totalement dépourvu de culture musicale, d’ordonner une série de 10 clochettes du grave à l’aigu, et demandez à un être adulte, musicalement éduqué, d’ordonner une série de 10 sons du plus faible au plus fort ou du plus court au plus long, et vous aurez un taux de réussite beaucoup plus évident dans le premier cas que dans le second.

1.126 Une hauteur peut se définir comme une coupure dans le continuum sonore. Cette coupure représente un point d’ancrage très puissant pour la perception. C’est une identification de forme qui est perçue comme instantanée, car nous n’avons pas conscience du temps qui est nécessaire pour cela.

1.127 Identifier une hauteur ne signifie pas lui donner un nom, mais percevoir une coupure dans le continuum sonore pendant un temps extrêmement court.

1.128 C’est par le comportement des hauteurs que l’on reconnaît un timbre instrumental d’un autre. Le très court laps de temps de déploiement des transitoires d’attaque constitue un des éléments indispensables pour identifier un timbre instrumental. C’est grandement grâce aux comportements des hauteurs (ces gerbes de fréquences qui apparaissent) que l’on reconnaît les timbres, même si l’on se montre incapable d’identifier ne serait-ce que globalement où elles se situent dans le continuum sonore.

1.129 Le timbre n’est que le nom que l’on donne à tout ce qui ne peux pas être nommé de façon précise. Le timbre est un résultat perceptif, non un paramètre de composition. C’est un effet, pas une cause. C’est pourquoi il n’existe pas de techniques précises dans la composition du timbre comme on en trouve dans le domaine des hauteurs, des rythmes et des proportions. Il existe cependant un grand nombre de techniques pour le contrôle de divers comportements acoustiques qui participent à la création de ce que l’on appelle, faute de mieux, les timbres.

1.1210 Il ne s’agit pas de nier les catégories non mesurables, non périodiques, bruitées, mais bien de replacer la notion de hauteur à sa juste valeur : celle d’un élément de tout premier ordre pour la perception de la musique.

1.1211 Derrière le terme de « hauteur », on entend souvent « hauteur tempérée », ou  « hauteur fondamentale ». On parlera donc de « complexes de hauteurs » qui n’élimineront pas les notions d’intervalles (évaluation de la distance entre deux sons, pas forcément tempérés).

1.13 Nos habitudes d’écoute sont fortement conditionnées par des coupures sonores : les échelles de hauteurs. Les échelles majeures et mineures sont les modèles de coupures les plus fortement ancrés dans notre culture occidentale. Comme d’habitude ces modèles servent d’étalon pour l’appréciation d’autres modèles. Plus une échelle s’éloignera d’un modèle connu, plus elle aura de chances d’être acceptée par l’oreille. A l’opposé, une échelle qui se situera trop près d’un modèle de coupure connu sera identifiée comme une version imparfaite de ce modèle. Par exemple sur une mélodie tonale, une note légèrement éloignée de sa place habituelle se déclarée comme « fausse » tandis que la même note sera acceptée avec plus de facilité lorsqu’elle sera intégrée à une échelle moins fortement ancrée dans nos habitudes (comme, par exemple, dans certaines musiques asiatiques et africaines).

1.131 On peut, d’une certaine manière, assimiler la perception des rapports de hauteurs (les intervalles) à celle des couleurs dans le domaine visuel. Par exemple on peut dire d’une tierce qu’elle est un peu grande ou un peu petite, comme l’on dit d’un bleu qu’il est clair ou foncé. Dans un cas comme dans l’autre nous disposons d’un étalon qui oriente nos facultés de reconnaissance. Cela dit, un intervalle se mesure aussi avec précision (comme le temps), et une tierce est le fruit d’un rapport calculé mathématiquement. Il n’en est rien pour la perception des couleurs qui, bien que dépendant aussi de fréquences, ne possèdent pas d’étalon de base. Il n’existe pas de vérité pour le bleu.

1.132 En ce sens, la réalité des intervalles (pour une oreille un tant soit peu éduquée) serait plus proche de celle des « eidos » dans la phénoménologie : un triangle parfait servant d’étalon à tous les triangles possibles. Mais il n’existe pas de triangle « faux » comme il peut exister de fausses tierces. Lorsqu’un intervalle se situe entre deux intervalles répertoriés on dira de lui que c’est « une grande seconde » ou une petite tierce ».

1.133 Ce n’est pas l’exactitude mathématique d’un intervalle qui le déclarera comme « juste » ou « faux » mais le contexte dans lequel il sera utilisé. Ainsi une tierce pure (ou mésotonique) et une autre, prise dans le tempérament égal, seront reconnues également comme « justes » dans leurs contextes respectifs. Seule la présence simultanée ou très rapprochée dans le temps de ces deux tierces différentes sera apte à montrer la « fausseté » de l’une d’entre elles. La perception de la justesse ou de la fausseté est grandement relative.

1.134 La sensation d’intervalle varie suivant les registrations. Notre perception est beaucoup plus fine dans le registre médium que dans les registres extrêmes, grave ou aigu.

1.135 Seuls ceux (très rares) qui possèdent une audition absolue peuvent donner un nom aux hauteurs. Ce n’est pas cela qui fonde la perception, mais plutôt l’identification des espaces existants entre les hauteurs, c’est-à-dire les intervalles. La transposition est la preuve que nous reconnaissons des formes identiques grâce aux rapports existants entre les composants et non aux composants eux-mêmes. On peut très bien reconnaître les intervalles sans pour autant savoir les nommer.

1.2. Echelles et objets sonores

1.21 Une organisation est hors-temps lorsque l’ordre d’apparition des événements ne modifie pas la structure globale. Ainsi une gamme par tons entiers, ou une gamme chromatique, se vérifient lorsque tous ou une partie des éléments qui composent une séquence sont inclus dans l’ensemble qui constituent cette gamme, quelque soit l’ordre dans lequel ces événements apparaissent. Les musiques tonales ou sérielles ne font pas partie des organisations hors-temps car les mouvements harmoniques et mélodiques dans les premières, comme l’ordre de succession des intervalles dans les secondes, ne peuvent être changés sans détruire les structures premières.

1.22 Dans une organisation hors-temps il existe deux manières de concevoir les relations entre les sons. La première appartient à la structure scalaire, vérifiant l’appartenance à une échelle, et la seconde concerne des objets sonores qui restent parallèles et échappent à toute organisation scalaire.

1.221 Dans une structure scalaire les mouvements internes des différentes voix d’un complexe sonore obéissent à des mouvements obliques (non-parallèles) dont chaque élément vérifie l’appartenance à une échelle de base. La théorie des modes à transpositions limitées d’Olivier Messaien est presque entièrement basée sur ce phénomène.

1.222 Les objets sonores se meuvent par mouvements strictement parallèles et, de ce fait, l’ensemble des éléments qui les constituent ne peuvent pas appartenir à une même structure de base, sauf si cette structure représente l’ensemble des sons possibles dans une situation donnée (ensemble des 12 sons dans une organisation chromatique par exemple) ou encore si elle est elle-même constituée d’intervalles rigoureusement égaux. Ce sont les cas limites de la théorie des modes à transpositions limitées, la gamme chromatique donnant 0 transposition et la gamme par tons entiers n’en donnant qu’une seule.

1.223 Dans la scène de l’étang de Wozzeck, Alban Berg a utilisé successivement ces deux méthodes. Parfois les accords sont transposés de manière parallèle (a) sur des mouvements chromatiques, parfois ils sont déplacés sur les pas d’une échelle préalablement définie (b) et, de ce fait, possèdent des composants intervalliques internes qui évoluent par mouvements obliques.

1.224 Il est possible de créer des objets sonores à l’intérieur d’une organisation qui soit en-temps. C’est ce qu’a fait Anton Webern en créant des accords qui, à l’intérieur d’une organisation sérielle, comporteront toujours les mêmes intervalles. Cette technique consiste à regrouper 3 sons consécutifs d’une série de base de manière à ce que leur superposition forme un objet harmonique identique.

1.23 Il existe des cas où des objets sonores sont intégrés à l’intérieur d’un système d’organisation sans qu’ils n’y participent totalement. Dans ces situations, les objets sonores acquièrent une certaine autonomie sonore qui les éloigne d’une intégration au mode d’organisation global qui gouverne l’œuvre.

1.231 Ainsi, dans son Boléro, Ravel a-t-il superposé la mélodie en plusieurs couches parallèles dont chacune des notes n’appartient pas à l’échelle de base sur laquelle est construite cette œuvre. L’effet produit est assimilable à certaines mixtures d’orgue.

1.232 Dans un même ordre d’idées, Stravinsky a composé des superpositions mélodiques créant des textures sonores qui sont étrangères au contexte modal de la mélodie en question. On a parlé, à ce propos, de polytonalité, ce qui est un abus de langage.

1.233 Dans certaines de ses compositions pour orgue, Olivier Messiaen a choisit des mixtures qui brisent totalement l’organisation modale qui sous-tend la composition de la pièce. Voici un exemple joué d’abord au piano (a) puis à l’orgue (b).

Le piano produisant des spectres hautement harmoniques dans lesquels la sensation de hauteur tonale est très dominante, il s’en suit une claire perception de l’organisation des hauteurs qui sous-tend cette musique. Dans le cas de certaines mixtures d’orgue, la forte présence de fréquences autres que la fondamentale dans les spectres introduit des événements étrangers à la structure d’organisation des hauteurs et, de ce fait, l’altère. Il est clair que la structure harmonique et modale mise en place par Messaien se trouve brisée lorsque les mixtures des jeux d’orgue introduisent des fréquences clairement audibles qui n’appartiennent pas à cette structure. Bien que les mixtures des jeux d’orgue ne peuvent pas être caractérisées comme rigoureusement inharmoniques, nous sommes ici dans une situation qui se trouve aux confins de l’inharmonicité.

2.0 Sur la notion d’inharmonie.

2.01 Un complexe sonore est inharmonique lorsque ses composants ne sont pas le produit d’un multiple entier d’une fréquence fondamentale (définition de la série harmonique).

2.011 Il ne faut pas associer harmonicité avec fréquences tempérées, ni inharmonicité avec fréquences non-tempérées. La plupart des fréquences composant une série harmonique ne sont pas tempérées.

2.012 La théorie de Rameau déduisant l’harmonie de ses principes naturels est, de ce point de vue, un ajustement des composants naturels au tempérament égal.

2.013 Les musiques spectrales, dans leurs premières manières qui consistait à faire jouer par différents instruments les harmoniques naturelles d’un son instrumental, contiennent un grand nombre de fréquences non-tempérées. Elles ne sont pas inharmoniques pour autant.

2.014 Pour créer des structures plus complexes que celles qui sont issues de la série des harmoniques naturelles, les compositeurs de l’école spectrale ont calculés des « spectres » résultants de la modulation d’un complexe harmonique par une fréquence pure (principe de la modulation en anneaux). Dans ces cas, la nature des complexes sonores ainsi obtenus devenait inharmonique.

3.0 Inharmonicité dans la musique instrumentale.

3.1 L’inharmonicité est accessible dans la musique instrumentale comme une complexification des contenus spectraux. Il n’est cependant pas toujours possible d’agir sur le contenu réel des sons inharmoniques car ceux-ci sont donnés par les instruments eux-mêmes. Dans le cas des instruments percussifs et résonnants (piano, harpe, guitare, vibraphones, marimbas…) il est impossible d’agir sur le contenu spectral interne des sons. Dans le cas des instruments frottés, (violons, alto, violoncelles…) la pression de l’archet, ou encore l’usage de sourdines permettent de modifier les spectres. C’est dans les vents que cette possibilité offre le plus d’avantage. Deux techniques ont été fréquemment utilisées par les compositeurs depuis la seconde moitié du XXème siècle. La première consiste à produire des sons multiphoniques (sur les bois exclusivement) que l’on obtient par la combinaison de doigtés inhabituels, la seconde par l’action de chanter tout en soufflant dans l’instruments. Cette dernière technique s’apparente à la technique de modulation en anneau qui sera étudiée plus bas.

3.2 Un objet inharmonique est aussi un objet qui impose son propre contenu spectral et sa propre densité à un contexte étranger. En ce sens, un des ancêtres de ces objets pourrait être le « cluster ». Ce serait un abus de langage que de considérer les clusters comme des objets inharmoniques au sens propre du terme, si tant est que les instruments à claviers tels que le piano ou le clavecin possèdent déjà dans leurs spectres un assez grand nombre de composants inharmoniques. Cependant au niveau de la fonction que ces objets exercent dans la structure de certaines ouvres, il n’est pas interdit de les considérer comme une des premières manifestations de ce que seront plus tard les objets inharmoniques.

3.22 On attribue généralement au compositeur américain Henry Cowell l’invention du « cluster » en 1912. Sans vouloir mettre en doute cette attribution (Cowell n’a certainement pas cherché à s’approprier l’invention de quelqu’un d’autre) il est possible de déceler la présence de clusters dans des musiques plus anciennes. C’est le cas de certaines sonates de Domenico Scarlatti qui présentent parfois des agrégats sonores dont les fonctions harmoniques ne sont pas totalement inconnues mais qui créent des complexes sonores don