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Interlude symphonique entre I,1 et I,2

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ex1ex1ainterlude1Voici donc le premier interlude symphonique. La fonction de ces interludes est double. Dramatique d’abord : il faut changer le décor et passer à la scène suivante. Et musicale bien sûr : il faut résorber le matériau qui à précédé tout en introduisant celui qui va venir. Alban Berg avait une grande admiration pour les interludes musicaux que Debussy avait composé pour Pélléas et Mélisande. On sait que beaucoup de ces interludes n’avaient pas été prévus dans le plan initial de l’opéra et que Debussy les avait composé pour permettre justement ces changements de décors. C’est la fluidité avec laquelle Debussy a traité le matériau musical qui impressionna tant Berg. Il est vrai que Berg aurait pu tout aussi bien trouver cette fluidité dans les derniers opéras de Wagner (Parsifal en particulier). On retrouvera donc, dans la texture orchestrale de ces interludes, la plupart du matériel motivique qui a servi à la scène précédente.

Cet interlude s’ouvre par une reprise du thème de la Pavane, donnée ici à la trompette :

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Voici, ici, ce motif tel qu’il apparaît dans la Pavane :

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Pour assurer une continuité musicale, surtout du point de vue rythmique, Berg va maintenant utiliser des procédés de transformation qui feront qu’un motif se dirigera imperceptiblement vers un autre, comme lors d ‘une interpolation. Le premier de ces exemples est donné par la conservation des figures en triolets de croches, caractéristique du motif de la Pavane que l’on vient d’entendre, mais en leur accolant des profils intervalliques différents. C’est exactement ce qui se passe ici :

 

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Cette succession de notes { la#, la, mi, mib, fa#, mi, do, sol et lab } ne nous est pas inconnue. Pour en trouver l’origine, il nous faut aller du côté de la Gavotte. Il s’agit même du thème principal sur lequel le Capitaine faisait à Wozzeck la remontrance de ne pas avoir donné à son fils une éducation religieuse :

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A partir de cette transformation, Berg va immédiatement obliquer vers une autre. Il profite de ce demi-ton montant {sol-lab} qui termine ce thème de Gavotte pour amorcer une imitation : sol-lab-sol-la-sol#-fa# qui passe successivement de la première flûte aux violons I :

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Nous voilà maintenant arrivé dans la Gigue. La cellule la-sol#-fa# était répétée ironiquement par les cors, lors de la moquerie du Capitaine :

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Ainsi, dans cette accélération, qui constitue la première section de cet interlude, nous trouvons à son terme le rappel de plusieurs motifs liés à la Gigue, puisque c’est sur la référence à ce mouvement qu’aboutit cette section. En rouge, aux cordes, la reprise de ces accords montrés aux cors dans l’exemple précédent, mais ici dans une répétition qui va en s’accélérant, en bleu, le thème principal de la Gigue, en vert, le résidu du thème de la Gavotte entendu précédemment, et en jaune, on reconnaît le motif que jouait les trombones toujours dans la Gigue (mesures 93 à 96) :

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Voici, ici les motifs correspondants dans la Gigue : à la mesure 83, le thème principal (bleu), et le motif des trombones qu’on trouve aux mesures 93 à 96 (en jaune) :

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Vient ensuite une transition préparant le développement final. On y reconnaît trois éléments : les sextolets de cordes sont évidemment ceux de la Gigue (la description du vent), la partie « Haupstimme » aux cors reprend le motif de la Gavotte (« Er hat keine Moral ! »), quant aux accord de quatre sons joués par les flûtes, hautbois et clarinettes, il nous faut aller dans l’Aria pour en trouver l’origine :

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Ici les références dans le début de la Gigue au trio de flûtes :

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Et les accords provenant de l’Aria :

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La dernière section de cet interlude, sera presque intégralement basée sur les éléments de l’Aria. Elle s’articule sur une basse obstinée de « do# » que nous connaissons déjà bien : le motif de la soumission (« Ya Wohl ! Herr Hauptmann ! »), répété quatre fois suivant 4 métriques différentes, d’abord en noires, puis en croches, triolets de croches et double-croches :

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Les violons entonnent le « Wie arme Leut » de l’Aria de manière à joindre le début et la fin. On se souvient que cet Aria se terminait par une colère de Wozzeck symbolisée par l’alternance de deux notes, comme s’il s’agissait de quelque chose d’asséné vigoureusement : « Nous sommes tellement pauvres que, si nous allions au Paradis, on nous demanderait aussi de faire le tonnerre ! ». Lors de l’Aria, cette phrase était superposée avec la scansion du « do# », note de la soumissions :

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Lors de cet interlude, Berg donne la mélodie intégrale du « Wie arme Leut » qui se termine sur une seconde majeure {ré-mi}, qu’il va répéter dans la dernière figure :

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Cette répétition de seconde majeure lui ouvre, en quelque sorte, la porte pour introduire la phrase qui suit, qui est basée sur les mêmes intervalles répétés, et qui est une reprise, jouée par les bois aigus, de la « colère » de Wozzeck mentionnée précédemment :

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Enfin, pour réunir le tout, Berg reprend les accords en tierces, déjà utilisés dans la fin de l’Aria, en « battuto » des cordes comme montré ici :

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La même configuration se retrouve ici à al fin de cet interlude : le motif de la soumission sur « do# » aux basses et les accords en tierces aux cordes, la seule différence se trouve dans le retour du thème de la Gigue (reconnaissable à son rythme pointé) qui est joué ici aux violoncelles (en bleu dans l’exemple ci-dessous) :

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La fin de cet interlude reprend donc la colère de Wozzeck qui, dans l’Aria, était calmée par le Capitaine (« Schon gut, schon gut ! »). Ici la transition sera brusque. Ce crescendo impressionnant, scandé par la grosse caisse sur le motif de la soumission, cache un objet qui entre imperceptiblement et ne se découvrira qu’à la fin du crescendo. Il s’agit du premier accord de la Rhapsodie qui va suivre (2ème scène) qui, écrasé par toute la puissance orchestrale, entre « ppp » aux cor, trompette, et 3 trombones :

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