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Variation VIII : une prémonition du style de Brahms

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Cette huitième variation annonce, par certains côtés, le style à venir de Brahms. La constance de la figure d’accompagnement qui variera sans cesse, en fonction de sa situation harmonique, sera une des caractéristiques les plus marquées du compositeur de Hambourg.

La première phrase déroule une mélodie très douce, jouée en accords parfaits, sans la quinte, à la main droite, tandis que la main gauche produit un dessin mélodique en croche. Le charme de cette musique vient aussi du fait que les directions des deux mains sont contraires. La main droite produit une mélodie en valeur longue qui descend, tandis que la main gauche l’accompagne avec une figure montante en croche, mais qui se répète à l’identique :

La reprise de cette première phrase ne se fera pas à la dominante, mais à la sus-tonique, ré mineur. Ce type de reprise sur le second degré est tout à fait typique de Beethoven et se rencontre dans un grand nombre d’œuvres (premier mouvement de la sonate Waldstein entre autre) :

C’est aussi grâce à cet accord de ré mineur, que Beethoven peut introduire  la sous-dominante fa, pour l’épisode des séquences, retrouvant alors l’harmonie du thème ; car ces deux tonalités sont relatives l’une de l’autre : 

Lors de la seconde partie de ces séquences, au lieu de progresser dans l’aigu, il stagne dans la registration, avec la permanence du « do » à la main droite, tandis que l’harmonie, par mouvements chromatique revient sur la tonique :

La fin de cette première partie retrouve les harmonies originales du thème de Diabelli avec la progression VI – II et V. Nous avons donc l’explication de ce retour subit sur la tonique juste avant. Beethoven favorise ici les modulations entre tonalités relatives, privilégiant ces relations de tierces mineures. Nous l’avons constaté entre les tonalités de ré mineur et de fa majeur, nous le retrouvons ici entre le do majeur et le la mineur, avec cependant la dominante intermédiaire sur l’accord du sixième degré entre les deux :

La figure de la main gauche, qui ne va pas arrêter de tourbillonner sous le calme de la mélodie de la main droite est basé sur une figure de 5 croches précédé d’un demi soupir. Cette figure est symétrique en ce sens que les 2 premières notes sont reprises dans les 2 dernières avec la note « sol » comme pivot au milieu. Notons la curieuse notation de doigté voulue par Beethoven avec le 5ème doigt devant effectuer à lui seul un legato entre les deux premières notes !

Cette figure est en fait une transformation de celle des séquences. Elle est composée d’une tierce et un demi-ton montants :

En inversant ces deux intervalles nous avons la figure bien connue de la séquence :

Quelques mesures plus tard, Beethoven inversera cette figure d’accompagnement, ce qui donnera la figure originale : 

La caractéristique la plus frappante de cette figure est son aspect montant et aussi le fait qu’elle débute et se termine systématiquement sur une appogiature chromatique. Comme il fallait s’y attendre, Beethoven va procéder à quelques petites transformations. À la mesure 9, l’appogiature finale est renversée, le demi-ton est descendant. La symétrie est légèrement brisée. La raison est probablement que Beethoven veut rappeler ainsi l’harmonie qui se trouvait au même endroit à la mesure précédente (mi et sol#) et veut ainsi conserver une ambiguïté sur le fait qu’il oscille entre le fa majeur et le la mineur : 

Ensuite, l’appogiature chromatique ne concernera que le début, la fin étant étirée sur un plus grand intervalle. La formule perd alors son profil symétrique :

L’autre élément de modification concerne la fin de chaque phrase. Beethoven modifie alors le dessin rythmique initial, caractérisé par le silence qui débute chaque formule,  pour placer une phrase plus ample dans le contour et la registration qui enjambe deux mesures. Voici ce que cela donne à la fin de la première phrase:

Et à la fin de la dernière: 

Cela montre une caractéristique qui commence a se faire jour : celle d’apporter un nouvel élément qui dérange la stabilité du discours juste au moment de la reprise, c’est-à-dire à la fin de chaque partie. C’est une idée que l’on a déjà rencontrée dans les variations précédentes et qui, très souvent, va être exploitée dans les suivantes.

La seconde partie , suivant en cela un principe déjà connu, reprend le dessin de la première en inversant le mouvement. Cette fois-ci, la main droite est montante :

L’harmonie va ici nous rappeler celles que l’on a connues auparavant. La modulation sur le quatrième degré (fa majeur) se fait par une double appogiature de la dominante de celui)ci : le « réb » puis le « si »  sont les appogiatures montantes et descendantes du « do » : 

Beethoven insistera encore sur cette double appogiature dans ce qui suit : 

La seconde phrase de cette séquence continue la progression chromatique de la main droite (mi)fa puis fa#-sol) pendant que la main gauche effectue une progression chromatique contraire, par modulations au demi-ton inférieur. La réunion de ces deux mouvements est propice à placer, de nouveau, cet accord de médiante (mi mineur) dont nous avons vu l’importance dans les précédentes variations. Lors de la répétition de la formule, Beethoven retrouve la tonique, ce qui lui permet de pouvoir transposer sa formule de la main gauche encore plus grave :

La formule d’accompagnement de la toute fin produit, comme on l’a déjà remarqué, une nouveauté. Ici c’est la liaison soudaine de ce « la bémol » sur le premier temps qui brise le silence qui débutait toutes les mesures de cette seconde partie.