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Motif du Capitaine

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Le « motif du Capitaine » est composé d’une cellule de 3 notes montantes, suivie d’une descente chromatique, puis d’une répétition irrégulière du son final :

La première constatation qui peut être faite, sans analyse mais par la simple écoute, est que ce motif est une parodie du thème principal qui ouvre la Symphonie pastorale de Beethoven : même rythme et même mouvements mélodiques :

La raison de ce rapprochement, qui ne peut pas être fortuit, reste pour moi un mystère. Certes, il y a bien des scènes de campagne et des évocations de musiques paysannes et populaires dans cet opéra ainsi que dans la Sixième symphonie, mais nous sommes bien loin de l’atmosphère champêtre et panthéiste qui règne dans la symphonie de Beethoven. Si parodie devait-il être question, celle-ci serait alors le produit d’un faisceau de corrélations bien dissimulé dont l’explication serait loin d’avoir la clarté de la citation que Berg fait de Tristan dans sa Suite lyrique. L’analyse des intervalles qui constituent le motif du Capitaine est, par contre, beaucoup plus explicite.

D’abord une montée « diatonique » sur 3 notes avec une seconde majeure et une quarte juste :

La seconde majeure, on le verra, est souvent associée aux musiques populaires dans cet opéra. Le chœur des soldats dans la taverne au dernier acte sera entièrement constitué de montées diatoniques sur les secondes majeures et mineures de la gamme de do majeur. La quarte, elle, sera ici le symbole de la musique militaire. C’est la quarte bien connue des cornets à pistons et des trompettes dans les fanfares. Toutes les scènes qui traiteront de la brutalité militaire (en particulier celles où figure le tambour-major) seront, en grande partie, construites autour de cet intervalle. SI nous reprenons ces deux intervalles dans une même montée nous obtenons rien de moins que La Marseillaise !

Ensuite, nous entendons une descente chromatique avec le rythme déjà présenté dans l’introduction :

Le chromatisme sera l’élément dominant qui accompagnera la noyade de Wozzeck, et l’intervalle de demi-ton sera « le motif du couteau » avec lequel il tuera Maire. Diatonisme et chromatisme, ou pour parler plus précisément, secondes mineures et secondes majeures, sont les deux éléments constitutifs de ce motif et, de ce point de vue, remarquons comment Berg a soigneusement réparti la progression de l’un à l’autre. La figure introductive du hautbois donne la succession 1-2 dans sa montée, puis une succession diatonique 2-2 dans la partie descendante. La réponse du basson est intégralement écrite dans un contexte chromatique avec le regroupement en succession 2-1 dans une formule qui ne monte ni ne descend, mais tourne sur elle-même. Enfin, le « motif du Capitaine » sépare en deux entités distinctes, diatonique et chromatique, ce qui avait été présenté auparavant de façon plus ambiguë. La leçon de Brahms, quant au traitement intervallique des motifs, a été bien entendue par Berg. Il nous reste l’élément intermédiaire, celui qui sépare le monde diatonique du monde chromatique : la quarte augmentée fa-si :

Il s’agira, dans cet opéra de l’intervalle symbolisant la mort de Marie. Le célèbre « interlude sur la note si » qui suit la mort de Marie éclatera sur un accord dominé par un fa aigu, et la quarte augmentée rôdera partout où la mort sera annoncée ou présente. Mozart, dans l’ouverture de son Don Giovanni, annonçait tout ensemble le caractère frondeur et tragique de son héros, ici, en l’espace de 4 mesure, Berg pose les jalons des principaux éléments qui articuleront tout l’opéra : le contexte militaire, la mort de Marie et la noyade de Wozzeck. Le microscope mental de Georg Büchner qui analysait froidement les tragédies humaines, comme il l’avait fait pour le système nerveux des grenouilles dans sa thèse de doctorat lors de ses études en médecine, trouve ici sa contrepartie musicale dans la concentration à l’extrême des principaux éléments musicaux qui vont irriguer tout l’opéra.

Ce motif intervient très souvent dans l’opéra. D’abord dans la premières scène où il joue un rôle prédominant, on le retrouve ensuite dans la Fantaisie et Fugue qui constituent la seconde scène de l’acte II :
Dans la Fugue qui suivra, il sera l’un des trois sujets, traité de manière polyphonique, tant à la voix qu’à l’orchestre :
Puis il servira de tremplin pour le climax du grand interlude en ré mineur à la fin de l’opéra dans lequel il rentrera en fugato :
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