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Entretien avec Eric Denut (à propos de « Tensio »)

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LE « TEMPS REEL », UN ENJEU CONTEMPORAIN

Entretiens avec Philippe Manoury et Pierre Morlet

Avec Tensio, son second quatuor à cordes créé dans la saison 2010-11 à l’Espace de Projection de l’Ircam à Paris par le Quatuor Diotima et présenté entre-temps sur de nombreuses scènes internationales, Philippe Manoury, le représentant emblématique de la musique électronique en temps réel, a signé d’un avis unanime une des très grandes réussites du genre. Comment cette œuvre s’articule-t-elle avec les autres pièces dans le parcours du compositeur ? Comment a-t-elle été travaillée par les interprètes, en interaction avec les chercheurs de l’Ircam et le compositeur ? Vers quelles directions tend-elle ?

Autant de questions auxquels nos entretiens avec Philippe Manoury, qui reprend pour nous un fil tissé de longue date dans différents écrits de sa plume, et Pierre Morlet, violoncelliste du Quatuor Diotima, tentent de répondrent en exclusivité.

Entretien avec Philippe Manoury

Philippe Manoury, on a coutume de vous associer immédiatement au « temps réel » et à son histoire récente. Comment en êtes-vous venu à consacrer autant d’énergie créative à cette problématique et aux technologies qui l’accompagnent ?

Voilà plus d’un quart de siècle que mon esprit ne cesse d’être préoccupé, hanté même, par cette invention qui, un autre quart de siècle auparavant, a provoqué une fissure dans le monde de la musique : celle de l’électronique.

Mes premiers contacts avec la musique électronique ont eu lieu au cours des années soixante-dix. Ce serait un euphémisme que de dire qu’à cette époque, en France, les musiques électroniques et instrumentales ne faisaient pas bon ménage. La querelle qui, dans les années cinquante, opposa les « compositeurs de l’écriture » (Barraqué, Boulez et Stockhausen principalement) à ceux de « l’intuition expérimentale » (incarnés par le GRM de Pierre Schaeffer) n’est que la plus célèbre de toutes. Pour être bref, les premiers reprochaient aux seconds de n’être que des analphabètes musicaux, tandis que les seconds auraient aimé reléguer les premiers dans les greniers poussiéreux de la tradition. Provenant d’horizons culturels très différents, les compositeurs œuvraient soit dans l’une, soit dans l’autre de ces catégories, mais rarement dans les deux. Élevé dans la tradition de l’écriture instrumentale, je n’en éprouvais pas moins une réelle attirance pour les possibilités offertes par la musique électronique. Ce furent les fréquentes venues de Stockhausen à Paris, au cours des années soixante-dix, qui me firent prendre conscience de la possibilité et du grand intérêt qu’il y aurait à relier ces deux conceptions musicales en une seule. Je découvrais qu’on pouvait à la fois composer de la musique d’orchestre et de la musique électronique, et parfois, au sein d’une même œuvre. La création parisienne de Mantra, en 1973, fut pour moi un moment initiatique. J’y découvrais la richesse potentielle de l’unification des mondes instrumentaux et électroniques au sein de ce que l’on aurait pu, déjà à cette époque, appeler « la musique électronique en temps réel ».

Unifier ces deux mondes, voilà qui n’a jamais été évident me semble-t-il ?

C’est en effet avec une certaine frustration, due à la difficulté de réunir ces deux modes d’expression, que j’entrepris mes premiers travaux. Autant les potentialités sonores de la musique électronique m’attiraient, autant la rigidité de son organisation temporelle n’en finissait pas de me poser problème. Ce n’est qu’au début des années quatre-vingt, avec la construction des premiers modèles de synthétiseurs en temps réel par Guiseppe di Guigno à l’Ircam, que j’entrevis immédiatement une ouverture possible vers une plus grande souplesse temporelle qui libérerait la musique électronique de ce temps figé qu’imposait la bande magnétique. Le point le plus important de cette avancée consistait dans le retournement de la situation habituelle dans laquelle l’instrumentiste était l’esclave du déroulement automatique et inexorable d’une bande magnétique. Dorénavant ce serait l’instrumentiste, le maître du temps. Il pourrait jouer à son propre tempo, accélérer, ralentir, faire des points d’orgue, bref, retrouver toute la respiration et la liberté qui était la sienne depuis que la musique existe, l’électronique le suivrait désormais. Au cours des dix années qui suivirent, je menais, avec la collaboration du mathématicien Miller Puckette, une série de recherches dont le premier résultat allait être Jupiter, pour flûte et électronique. Cette œuvre, composée en 1987, était la première à utiliser un suiveur de partition et développait de nombreux principes d’interactivité entre la flûte et les sons de synthèse 1. Elle marquait le début du déclin de la musique sur bande magnétique qui, malgré quelques positions nostalgiques, voire d’arrière-garde, allait finir par disparaître. Ensuite naquirent successivement Pluton, La partition du Ciel et de l’Enfer, Neptune et En écho, œuvres dans lesquelles je développais de nouvelles relations avec le monde instrumental tout en cherchant d’aller aussi loin que possible dans les modes de communications interactifs. Pas à pas, j’entreprenais une sorte de « recherche du temps perdu », celui, continu, organique et flexible, de la musique jouée par les musiciens, et que je cherchais à réintégrer dans les musiques électroniques. J’ai alors porté tous mes efforts sur le développement de structures musicales électroniques élaborées, dépassant le simple procédé de la transformation passive des instruments, et pouvant être soumises au temps flexible d’un interprète. En d’autres termes, je voulais doter la musique de synthèse de la possibilité d’être interprétée.

Les partitions que vous venez de citer, auxquelles il faudrait sans doute ajouter des pièces comme vos opéras K… et La Frontière ou encore votre Partita I pour alto solo, ont été autant de jalons importants dans l’histoire de la musique contemporaine et du traitement de l’électronique en temps réel, avec autant d’enjeux musicaux et technologiques spécifiques. Depuis, vous avez également abordé le genre, ô combien emblématique, du quatuor à cordes, avec deux opus, dont l’un inclut l’électronique ; quels ont été précisément pour les enjeux pour cette œuvre, intitulée Tensio ?

Tensio est probablement l’œuvre la plus expérimentale que j’ai composée à ce jour. Sa gestation et sa composition se sont étalées sur près de deux années, car ce quatuor met en œuvre un grand nombre de nouvelles pratiques musicales que la technologie a développé depuis ces dernières années, et qu’il a fallu expérimenter et mettre au point : la synthèse par modèle physique, la synthèse interactive de sons inharmoniques, les toupies sonores harmoniques et le suivi de tempo des instruments. Un autre axe de recherche a également été entrepris sur les descripteurs acoustiques qui devraient permettre à terme d’obtenir une analyse fine et stable des sons instrumentaux en temps réel.

La première partie de Tensio présente une musique d’une extrême mobilité qui fait intervenir le quatuor réel avec un quatuor virtuel, entièrement composé à partir de sons de synthèse. Les matériaux sonores voyagent de l’un à l’autre dans une forme construite sur ce que j’appelle des « grammaires musicales génératives ».

La deuxième partie utilise un nouveau modèle de synthèse basé sur une modélisation physique d’une corde tendue au-dessus d’une caisse de résonance de violon. C’est ici que la « tensio », à laquelle le titre se réfère, est la plus audible. Ce modèle permet de simuler les pressions, les vitesses et les positions d’un archet virtuel sur cette corde imaginaire. J’ai découvert ici des catégories sonores tout à fait surprenantes lorsque l’on pousse à certains extrêmes des modes de jeux traditionnels dans des zones qui ne sont guère accessibles à la physiologie humaine. La combinaison d’une pression exagérée d’un archet sur une corde, avec une vitesse presque nulle, produit des formes de petites gouttelettes sonores aiguës qui ne semblent a priori pas venir d’un violon. Mais c’est bel et bien d’un violon dont il s’agit. Et l’aspect le plus curieux, mais aussi le plus intéressant , de ce phénomène réside dans le fait que, malgré cette différence de son, on entend toujours une corde qui se tend sous la pression d’un frottement. Lors de cette section, j’ai utilisé un aspect très novateur du suivi de partition mis au point par le chercheur Arshia Cont à l’Ircam : le suivi continu du tempo. Les événements électroniques sont inscrits sur une partition qui adapte automatiquement son tempo sur celui, fluctuant, des instruments. Jusqu’à présent, les instruments déclenchaient des événements sonores électroniques dans un temps discontinu : une note déclenche un événement, puis une autre, etc. Dorénavant, les deux discours sont unis et fondus dans un même temps continu dont les instrumentistes ont le contrôle.

La troisième partie est une sorte d’interlude basé sur des glissandi d’harmoniques et, de ce fait, résorbe la « tensio » de la section précédente.

À partir de la quatrième section de la pièce, intervient un nouveau système de synthèse sonore dont j’avais eu l’intuition depuis plusieurs années sans toutefois trouver le moyen de le réaliser. C’est finalement Miller Puckette qui m’offrit la solution. Chaque son instrumental joué est analysé dans sa hauteur et sert à la construction de sons complexes, inharmoniques, dont la densité varie suivant le rapport des sons instrumentaux. Ainsi, lorsque tous les instruments sont à l’unisson, la musique de synthèse s’accorde à eux, et lorsqu’ils jouent des sons différents, on perçoit une musique très dense, faite de blocs sonores parfois très compacts, qui épouse cependant les évolutions des parties instrumentales. On entend donc toujours en filigrane ce que jouent les instruments dans le discours, parfois chaotique, de la musique de synthèse. La grande variabilité de cette musique, inharmonique et non tempérée, inclut celle des instruments « tempérés » comme une trace dans une matière sonore en déflagrations. Ce procédé court tout au long de la cinquième partie qui réintroduit les grammaires sonores génératives du début. Cette section se termine par une petite « passacaille » suivie de dix variations dont le motif est issu d’une de mes anciennes compositions : la Passacaille pour Tokyo pour piano et ensemble.

La sixième section termine ce grand développement en introduisant une voix supplémentaire. Un nuage de pizzicati en mouvement perpétuel, basé sur le principe probabiliste des chemins markoviens, va se déployer sur les hauteurs qui constituent les sons inharmoniques dérivés de ce que jouent les instruments. Ainsi toute une série de strates musicales naît du quatuor à cordes par déductions successives. Il s’agit d’un lointain avatar de la vieille théorie de Rameau qui déduisait l’harmonie – et de là, les mouvements mélodiques qui lui obéissaient – du principe de résonance naturelle. Ici, ce sont les instruments qui engendrent des « inharmonies » qui, à leur tour, engendrent des mouvements mélodiques.

Pour la septième section, j’ai utilisé le principe des « toupies sonores » que j’avais utilisées dans K… et, plus récemment, dans Partita I. Je l’ai cependant considérablement affiné. Les instruments projettent des sons qui tournent à une vitesse correspondante à l’intensité des sons instrumentaux. Mais lorsqu’elles vont se stabiliser, les rotations de ces toupies seront en rapports harmoniques les unes avec les autres. Ainsi deux sons de même hauteur tourneront à la même vitesse et se fondront l’un dans l’autre, tandis que deux sons de hauteurs différentes tourneront à des vitesses « harmoniques » correspondantes à leur relation d’intervalle.

Quels sont à votre sens les champs d’étude les plus fertiles à l’avenir pour la musique électronique en temps réel ?

S’il est possible de construire des structures sonores dotées d’un grand pouvoir de réactivité au jeu instrumental, on perçoit encore une grande résistance à la réunion des musiques acoustiques et électroniques dans un temps musical commun ; une frontière semble encore opaque entre ces deux conceptions temporelles et qui tient à la nature même du contrôle du temps dans la musique. La raison en est que l’être humain utilise des moyens plus visuels que sonores dans ce qui constitue certainement l’élément majeur du contrôle musical du temps : la possibilité de prédiction. Il existe en effet une différence fondamentale entre le temps organisé par des machines et celui de l’être humain. Nous savons très bien organiser les dimensions de hauteurs, de timbres et de spatialisations dans la musique électronique, mais nous sommes encore limités quant à l’organisation d’un temps qui serait véritablement musical. De réelles avancées ont été faites dernièrement dans ce domaine, notamment grâce aux travaux de Arshia Cont à l’Ircam, dont j’ai parlé précédemment et dont Tensio a beaucoup profité, mais l’aventure doit encore se poursuivre.

Il existe ensuite un vieux rêve auquel se sont attelés beaucoup de compositeurs, c’est l’idée d’une véritable notation pour la musique de synthèse. À quoi ressemblerait une écriture nouvelle pour la musique de synthèse qui permettrait également d’être un outil puissant pour la composition ? Avec Miller Puckette, à l’Université de San Diego en Californie, où je suis professeur de composition, nous nous sommes à nouveau penchés sur cette question. Il nous est d’abord apparu que, vu l’énorme quantité de paramètres qu’il nous faudrait représenter, une meilleure solution consisterait à garder la représentation numérique pour toute valeur qui ne serait pas variable dans le temps. Ensuite, de nombreuses questions se sont posées. Comment représenter des évolutions micro-tonales dans un système de coordonnées cartésiennes (les hauteurs en abscisse et le temps en ordonnée) tout en conservant la lisibilité de toutes les voix ? Comment écrire chaque voix, comportant elle-même une grande quantité de paramètres, sur une seule « partition » ? Jusqu’à quel point peut-on intégrer la notation musicale traditionnelle et comment l’unifier avec une notation différente dans les cas où cette première serait insuffisante ? Comment exprimer le temps d’un événement qui nous est connu (lorsqu’il fixé comme dans le cas d’une bande magnétique) par rapport à un autre qui ne l’est pas (lorsqu’il doit être déterminé par l’interprétation) ? Ce sont là des interrogations qui sont encore devant nous. Mais il me semble évident qu’un tel outil permettrait de résoudre de nombreux problèmes, ceux, principalement, qui concernent les structures de temps comme les changements et les variations de tempi.

Echange avec Eric Denut, Paris-Strasbourg, septembre 2011

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Entretien Pierre Morlet, Quatuor Diotima

Quelle est l’expérience du Quatuor Diotima avec le temps réel ?

Elle est assez limitée contrairement à ce qu’on pourrait imaginer – mais elle nous a permis de rencontrer deux chefs d’œuvre, le Quatrième Quatuor de Jonathan Harvey et Tensio de Philippe Manoury, qui a été unanimement reconnue comme une pièce majeure – pas seulement grâce aux commentaires, très élogieux, de Pierre Boulez après le concert. C’est indéniablement une pièce très réussie, à la fois parce qu’elle fait sens sur le plan formel (même si, à sa création, il manquait encore une partie), mais aussi parce que l’utilisation du temps réel, signée par un compositeur habitué aux technologies les plus récentes, donc capable de prendre des risques, fonctionne très bien. Prendre des risques, comme toujours, ça paie !

Quand Philippe Manoury parle de Tensio, il explique que c’est « à ce jour son œuvre la plus expérimentale ». On imagine qu’en terme de préparation et d’implication de la part du quatuor, cela a été un processus long et peut-être difficile. Quelles en ont été les étapes ?

Tout d’abord, je connaissais Philippe depuis le Conservatoire Supérieur de Musique de Lyon où il dirigeait la classe de composition. Pour nous, membres du Quatuor Diotima, il nous semblait évident qu’il était la personne, si nous voulions développer le répertoire du quatuor à cordes avec électronique en temps réel, la plus à même de répondre à notre souhait, et nous lui avons commandé cette pièce. Il est comme le fils de l’Ircam, sa carrière est étroitement liée à cette institution.

Une fois que Philippe avait accepté, et que, grâce à la générosité des Billarant, que nous remercions chaleureusement, il nous a tout de suite envoyé un plan, qui était exclusivement un plan par rapport à l’électronique, qui nous expliquait ce qu’il souhaitait faire. C’est là qu’il a tout de suite parlé du suivi de partition, qui est une technologie qui était, en tout cas il y a deux ans, encore balbutiante ; on savait que dans les années à venir ce serait mature et qu’on pourrait l’utiliser en concert – Philippe a eu raison de penser que le médium du quatuor à cordes était le plus approprié, c’est de la musique de chambre, sans chef, on a pu investir du temps, on n’a pas forcément à respecter des horaires, sans compter notre temps, pour faire en sorte que le résultat soit probant.  Il y a eu beaucoup de séances de travail, de test, il fallait travailler effet par effet, section par section, pour régler l’électronique.

Quand on n’a pas l’habitude, on peut considérer que c’est une perte de temps ; mais il ne faut pas le voir comme ça, ce sont les règles du jeu, c’est le temps qu’il faut investir pour que ce qui est encore expérimental devienne fonctionnel et puisse marcher. Ce temps est indispensable également pour toutes les parties prenantes, réalisateur d’informatique musical, développeurs, compositeur.

Comment le quatuor a-t-il vécu la présence de l’électronique ? Comme une ombre ou comme un allié ?

Il y a une progression de la perception de l’électronique au fur et à mesure que l’on travaille l’œuvre. On apprend à modifier son écoute. La première fois, on fait un son et, pour le dire vite, on entend à peine son propre son mais c’est l’électronique qui prime ; ce n’est pas toujours le cas, le compositeur a veillé à ce qu’il y ait des passages où l’on entend à la fois le son du quatuor, électrifié, et la résultante électronique. Pour nous, cela signifie simplement passer du temps avec le compositeur et lui demander, passage par passage : ici, qu’est-ce qu’il se passe ? Qui doit primer, notre son ou celui qui sort des haut-parleurs ? Une fois que nous avons obtenu la réponse, moment de l’œuvre par moment, comme pour tout travail de musique de chambre, et encore une fois le médium du quatuor à cordes est ici le plus facile, à défaut d’être le meilleur peut-être, il faut s’écouter – ce n’est que la continuation de notre travail de tous les jours.

L’électronique est à mon sens un développement de « l’instrument » quatuor à cordes. De la même manière que Lachenmann dans son deuxième Quatuor Reigen seliger Geister désaccorde à un moment tous les instruments, dans une scordatura sauvage avec des pizzicati, et s’éloigne du son « normal » du quatuor à cordes pour arriver à une sorte de grande guitare, de la même manière dans Tensio on ouvre d’autres possibilités sonores, irréalisables pour le coup acoustiquement avec les instruments du quatuor, on a une extension, au sens des « extended techniques », le terme le plus juste, une « augmentation du son » non pas au niveau sonore mais au niveau des possibilités du son. C’est d’ailleurs probablement de cette manière-là que l’utilisation de l’électronique est la plus judicieuse. ..

Si vous aviez à estimer votre perception in fine de la présence de l’électronique, dans un continuum allant de jubilatoire à angoissant, où se positionne le curseur ?

Il faut que ce soit jubilatoire, c’est même cela qui caractérise les chefs d’œuvre dont j’ai parlé. Une personne qui joue sur scène doit impérativement non pas prendre plaisir, mais comprendre ce qu’elle joue, savoir que cela a un intérêt – je ne parle pas d’une compréhension intellectuelle, mais de savoir que les signes que l’on joue ont un sens, savoir à quoi ils correspondent. Tout le problème du travail avec l’électronique est que ce sont des signes qu’on ne comprend pas tout de suite – tout simplement parce que c’est neuf. C’est justement cela qu’il faut appréhender. Pour cela il faut d’abord un peu d’habitude, puis travailler avec les bonnes personnes, les bons médiateurs – ce qui a été le cas sur Tensio. Il faut dire que Philippe est à la fois très facile et très précis, très juste sur ses intentions ; il sait différencier entre ce qui est le travail propre du quatuor et ce qui est de sa définition, en qualité de compositeur, du rapport entre ce que joue le quatuor et les parties électroniques, ce sur quoi il est extrêmement précis et rigoureux. On sait vite où l’on va, ce qui est très important.

Entretien avec Eric Denut / Paris, 24 août 2011