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Dramaturgie expressive et technologie du temps réel : analyse esthétique et structurelle de Jupiter de Philippe Manoury

Dramaturgie expressive et technologie du temps réel : analyse esthétique et structurelle de Jupiter de Philippe Manoury

In Márta Grabócz : Entre naturalisme sonore et synthèse en temps réel. Images et formes expressives dans la musique contemporaine,                EAC [Editions des Archives Contemporaines], Paris, 2013, pp.65-106,    ISBN : 9782813001221, –277 pages

  1. Introduction

La présente étude[1] offre une approche esthétique (et perceptive) de la première œuvre complètement interactive de Philippe Manoury, Jupiter, écrite pour flûte et système de traitement et de synthèse numérique en temps réel (1987)[2]. Cette analyse esthétique tente de justifier l’hypothèse suivante : grâce aux nouveaux outils de la technologie informatique, à la maîtrise des composants du son et de leurs impacts et, en particulier, grâce à l’interaction en temps réel entre l’ordinateur et l’instrument, le compositeur d’aujourd’hui, après tant d’années de néoclassicisme, sérialisme et postmodernisme, serait en mesure de rétablir, de re-légitimer en ses propres droits la construction dramatique ou la macro-forme « narrative », en puisant dans des effets de collision cathartique réalisés à l’aide de ce nouveau monde interactif sonore.

Dans ses articles, Philippe Manoury admet lui-même cette nouvelle attitude artistique, qui ne craint ni la rétrospection ni le concept d’une forme musicale qui doit être repensée à chaque acte créateur, selon le contexte musical donné :

Il me semble que l’activité mentale de la composition, comme probablement celle d’autres types de création, serait comme un processus qui, certes, irait de l’avant, mais anticiperait à court ou à long terme sur les événements qu’il serait bon de produire, et aurait aussi un regard rétroactif de manière à adapter la situation présente à une situation passée, voire de modifier celle-ci pour mieux introduire celle-là. Il me semble qu’une vue très large sur les domaines temporels – passé, présent et avenir – serait donc nécessaire à toute activité compositionnelle. Depuis le début du siècle, Debussy nous a enseigné que toute forme doit être repensée à chaque acte créatif […] et depuis une vingtaine d’années, surtout sur la proposition de Stockhausen dans Mikrophonie I, nous savons que chaque nouvelle œuvre peut engendrer son propre monde sonore[3].

En ce qui concerne les notions précises des phénomènes narratifs et/ou cathartiques, je ne peux que rappeler certains de leurs traits et caractéristiques évoqués par des théoriciens des années 1980-1990[4]. Le point commun des différentes définitions des récits est de vouloir décrire le processus cathartique comme un changement de niveau survenu dans les valeurs ou comme une ascension d’un niveau inférieur à un stade supérieur des valeurs[5].

Presque toutes les écoles et tendances essayent de définir la catharsis comme un changement, un cheminement qui mène d’un domaine de valeurs négatives à un domaine de valeurs positives. Elle se présente comme une transition qui nous conduit, par exemple, d’un état psychique dysphorique à un état de maturité, ou bien de l’expérience chaotique des tensions et des contradictions vers un état de conscience ordonné et harmonique[6].

Depuis Aristote, sans se préoccuper des questions « d’où ? » et « pourquoi ? », les tragédies évoquent simplement le Mal et présentent la manière dont le Mal détruit les hommes et les communautés même si ces derniers s’étaient opposés à lui, ou même s’ils voulaient seulement s’en servir ou bien s’ils s’y sont retrouvés malgré eux. Antigone, Chréon, Jocaste, Hamlet, Claudio, Ophélie, Phèdre, Hyppolite sont tous anéantis. […] Mais si c’est le cas, en quoi consiste l’effet cathartique si souvent évoqué, sa capacité de transformer un état de valeur négative en positive, autrement dit, sa capacité d’aider les gens à surmonter le Mal qui menace l’existence humaine et collective. […] Dans le milieu culturel où ont pris naissance les tragédies, celles de Sophocle jusqu’à O’Neil et Beckett, la valeur la plus négative était la perte ou le dépérissement de la vie humaine ; c’est ainsi que le mécanisme de catharsis des tragédies essaie de neutraliser, de dévoiler et, en quelque sorte, transcender en une valeur positive cette destruction fatale[7].

Parmi les théoriciens de l’esthétique musicale, Eero Tarasti soulève le problème des procédés narratifs et ainsi de la catharsis, sous le prétexte de la musique romantique :

Au niveau de la narration musicale, l’œuvre peut être divisée en une série de programmes narratifs successifs qui mènent l’auditeur vers la solution finale. Solution ? Pour parler de solution il faut un problème, un manque ou quelque chose d’équivalent qu’il faut résoudre. C’est-à-dire, nous devons supposer, à la manière de Lévi-Strauss, que l’œuvre musicale constitue toujours – de même que le mythe – le modèle solutionnel « logique » et symbolique d’un problème. La question, la négation doivent, en quelque sorte, amener une réponse, une affirmation. […] Si l’on considère la composition comme une unité épistémique, on peut penser que l’on avance depuis le secret ou le mensonge jusqu’à la vérité en passant par la fausseté[8].

La présente étude analytique veut donc examiner la manière dont est réalisée une dramaturgie expressive contemporaine, sous une forme originale et conforme aux moyens compositionnels à la pointe : présentation d’un problème puis quête d’une solution, mise en évidence des tensions et des contrastes suivie de la confrontation, de la collision dramatique et enfin, de l’aboutissement de l’action musicale à un dénouement cathartique.

Nous allons démontrer comment le monde intérieur propre de Jupiter crée une nouvelle hiérarchie d’éléments sonores jusqu’ici inconnus, riches de significations distinctes et de relations multiples. Comment la perception de cette hiérarchie d’objets expressifs conduit-elle l’auditeur à travers un parcours de questions-interrogations, d’épreuves, de conflits, jusqu’à la solution apaisante, jusqu’à la transfiguration des épreuves en valeurs positives pour qu’elle nous suggère l’élévation à un nouveau système de valeurs ? Pour résumer, notre but est de prouver qu’il y a bien dans Jupiter une narration musicale dramatique, c’est-à-dire un processus producteur de valeurs nouvelles à l’intérieur du contexte de l’œuvre.

Le compositeur a dédié ce morceau à la mémoire du jeune flûtiste Larry Beauregard, prématurément disparu. Cette circonstance tragique souligne, elle aussi, l’hypothèse de départ selon laquelle la conception de base et la construction de l’œuvre sont de caractère dramatique.

Dans certains de ses articles, Philippe Manoury évoque une caractéristique ou une tendance principale de l’évolution de l’écriture électroacoustique assistée par l’informatique. Cette dernière rapprocherait la musique électroacoustique de la musique instrumentale traditionnelle du point de vue de l’utilisation de catégories opératoires abstraites assez nombreuses pour qu’elles puissent contribuer à la genèse de données perceptuelles hiérarchisées en communiquant des significations.

Quel est donc le statut de ces nouveaux matériaux dans le cadre de la composition ? On peut dire, d’une certaine manière, qu’ils dépendent de leur rapport avec le contexte dans lequel ils vont évoluer. […] Les différentes techniques permettant les transformations de ces objets sont trop nombreuses pour pouvoir être ici énumérées. Mais il me semble qu’une grande partie de ces opérations va dans le sens d’une décomposition de l’objet sonore, où les divers éléments d’un matériau peuvent être isolés et manipulés de manière indépendante et avec lesquels on peut travailler. […] Il faut pour cela déterminer les familles morphologiques qui réuniront, sous leurs principes, une certaine quantité d’objets. Les critères de définition morphologiques sont, eux aussi, très nombreux : harmonicité, inharmonicité, stabilité ou instabilité en fréquences, présence de certaines caractéristiques d’enveloppes, bruitages ou absence de bruit, niveau de brillance ou de rugosité, etc. Lorsqu’il est possible d’isoler ainsi certains composants, nous ne sommes pas loin de la situation décrite précédemment dans l’écriture traditionnelle où les objets ont la propriété de fonctionner comme autant de couches superposées. Ici, c’est au niveau des relations entre les différents types de contrôle que s’opérera ou non une fusion de l’objet où chacun des paramètres sera intégré dans une entité perceptuelle. […]

S’il fallait tirer une conclusion théorique de cette situation, je dirais qu’on assiste actuellement à une grande prolifération des composants musicaux utilisés. Les méthodes de synthèse se perfectionnant toujours davantage, on peut évidemment traiter le son du plus profond de lui-même. Si les composants traditionnels sont évidemment toujours en mise, ils ne sont pas les seuls constituants de l’appareil compositionnel. Il faut désormais pouvoir se placer à différents niveaux hiérarchiques du discours musical, quelque part entre la structure globale et la définition morphologique des sons tout en sachant que vouloir traiter tout le temps ces deux extrêmes simultanément est un leurre. […]

On peut concevoir aussi que l’écriture est avant tout une manière de définir le comportement de ces objets dans le discours musical, où, pour reprendre la belle formule de Pierre Boulez, se fait jour « une sociologie des comportements musicaux ».Finalement, les comportements et la morphologie sont ce qui constitue la totalité du discours. En tout état de cause, l’écriture traditionnelle a pour but d’assigner des valeurs à des composants musicaux et c’est exactement ce qui se passe, surtout lorsque l’on a recours aux moyens informatiques. […]

Vues sous cet angle, et les précédents, on comprendra qu’il ne sert plus à rien d’opposer musique instrumentale et électroacoustique du point de vue théorique, on verra même qu’elles peuvent aussi communiquer avec plus de subtilité[9].

Pour parvenir à l’analyse esthétique de l’œuvre, il fallait établir au préalable, et temporairement, une typologie et une hiérarchie des objets sonores et des processus sonores. Cette typologie est construite sur la base d’une description perceptive (et de cette façon, peut-être parfois « personnelle ») de phénomènes auditifs.

Après avoir résumé brièvement les pensées de Philippe Manoury sur l’évolution des objets sonores en suivant leur voie de différenciation et synthétisé les enseignements tirés de ma propre dénomination-énumération de différents objets sonores figurant dans Jupiter, il faut bien attirer l’attention sur le manque de « dictionnaire » ou de « traité » tentant de regrouper et de caractériser les phénomènes audibles et perceptifs d’après les types de traitement technique ou musical qui les engendrent. Un tel « dictionnaire » pourrait éventuellement ouvrir le chemin à une analyse approfondie de ces œuvres musicales interactives récentes[10].

Avant de présenter cette typologie provisoire appliquée à Jupiter, je dois renvoyer le lecteur aux différents articles qui mettent en lumière la genèse et l’élaboration du projet Flûte-MIDI ainsi que les expériences et travaux préalables effectués à l’IRCAM ou au MIT.

Quelque temps avant la composition de Jupiter, se faisait jour la possibilité de synchroniser une flûte avec un système de synthèse et de traitement en temps réel, la 4X. Pour la première fois, une situation figée depuis le début de la musique électroacoustique s’était débloquée : l’interprète n’était plus à la merci du déroulement d’une bande magnétique, mais les événements qu’il produisait étaient détectés et suivis en temps réel par une machine. Le tempo était donc accessible à la musique électroacoustique[11].

Le parcours et les étapes de la technologie en développement, fusionnant en quasi-synchronie avec les idées du compositeur, sont présentés en détail dans les textes suivants :

  1. Philippe Manoury: « Projet interaction flûte-4X », in : Rapport Annuel de l’IRCAM l986, pp. 30-33 voir chapitre « Généralités et historique ».
  2. Marc Battier: « Jupiter pour flûte et 4X de Philippe Manoury », in Rapport Annuel de l’IRCAM l986, pp. 111-112.
  3. Philippe Manoury: « Jupiter et le Projet flûte 4X », manuscrit de l’auteur, avril 1990.

La présentation des nouvelles sonorités offerte par les chapitres suivants, essaie de décrire à la fois le procédé technologique, son effet sonore audible et sa fonction dramaturgique à l’intérieur du contexte de l’œuvre musicale.

  1. Les matériaux motiviques

Les matériaux motiviques et thématiques initiaux dans Jupiter sont construits :

  1. sur une phrase musicale de la flûte, qui apparaît souvent comme une sorte de leitmotiv initial, exprimant une « interrogation » ou une « quête ». Cette phrase sera réitérée ultérieurement comme un « cheminement » ou « vagabondage » ou comme un motto musical, un signal qui marque les césures. Elle est constituée des notes correspondant aux lettres qui figurent dans le nom de lArry BEAurEGArD.

Exemple 1 : Introduction de l’œuvre (« Lent »).
Tous les exemples de partition sont présentés avec l’aimable autorisation des Éditions Durand-Universal Music.

  1. sur les différents types de rapport entre la flûte et ses sons « traités » (voir plus bas leurs exemples de partition) ;
  2. sur les couches construites uniquement à partir de sons synthétisés ou échantillonnés. Ces couches seront soumises soit à une interpolation rythmique entre éléments détectés dans différentes sections de l’œuvre, soit à une construction de type « ostinato » ou « fugato » ou, à d’autres endroits, à une disposition spatiale, constituant un certain contrepoint, par rapport à la flûte, de différentes masses, couches ou faisceaux sonores. Dans ce dernier type de matériau (matériau sonore créé des sons de tam-tam ou de piano, ou encore de l’effet tongue-ram de la flûte en sol échantillonnés), la flûte n’intervient que comme élément d’accompagnement ou d’articulation par rapport à la couche « échantillonnée » ou synthétisée (voir plus loin les exemples de partition).
  3. Typologie des objets sonores et de leurs rapports avec la flûte

3.1. Objets sonores neutres : sonorités proches de la flûte

Les diverses techniques de multiplication du son de la flûte sont résumées dans l’article « La note et le son. Un carnet de bord » de Philippe Manoury :

J’ai engendré une grande partie de la partition de synthèse en démultipliant le son de l’instrument en catégories harmoniques, polyphoniques ou rythmiques, créant ainsi des accords ou des textures qui étaient directement construites à partir de multiples transpositions des sons que produisait le soliste[12].

Plus tard, en 1990, Manoury présente le procédé de suivi de partition et l’interface flûte-machine, en les illustrant avec des exemples sonores de partition et, respectivement, de patch[13].

À propos de la description des structures électroacoustiques déduites du son instrumental, il énumère en 1988 toutes les procédures importantes :

[…] On peut voir deux modes de communication entre l’instrument et la machine. L’un que je qualifierai de discret, l’autre de continu. Dans le premier, nous trouvons le déclenchement d’une action de la machine à partir d’un événement reconnu. Mais une fois déclenché, le processus observe une indépendance totale avec la source qui l’a généré […][14].

Dans Jupiter, j’ai utilisé des modules de traitement du signal permettant des opérations d’entretien réverbération infinie mise au point par Thierry Lancino et Miller Puckette, de transposition [harmonizer], de retard [delay] et de transformation spectrale [frequency shifter]. À l’aide de ces modules interconnectés entre eux, il a été possible d’élaborer toute la partition qui servait d’accompagnement, de contrepoints et de complémentarité à la partie soliste.[15]

En ce qui concerne cet environnement de « multiplication », voici quelques exemples sonores de types de dialogue :

3.1.1     Une possibilité d’accompagnement statique, réalisé à l’aide des harmonizers[16] envoyés à la réverbération infinie, est la superposition de trames continues. Elle crée souvent l’effet perceptible d’un halo sonore ou d’une grille brouillée ; ou bien elle donne l’impression d’un voile devant ou derrière lequel se déroule la scène imaginaire. Cette texture de trames peut évoluer, se dilater, se rétrécir, fluctuer ou « osciller » en fonction de l’utilisation de l’espace des hauteurs et du degré d’harmonicité. Ce type d’accompagnement est le plus fréquent au cours des « dialogues » créés à partir du leitmotiv : après sa présentation au début de l’œuvre, il revient dans les sections II, IV, VII, XI, XIII.

Exemple 2 : I/A, 1-12 (S.T.R[17] : halo sonore créé par les harmonizers à partir des sons de la flûte)

Avec l’autorisation gracieuse des Éditions Durand (Universal Music Publishing Classical) comme pour les autres exemples de cet article.

Les variantes de cet environnement de « multiplication » sont les suivantes :

3.1.2     Dialogue obscurci : accompagnement figuratif agité et un peu brouillé : le son de la flûte est transformé à l’aide desharmonizers en figures rapides descendantes ou répétées, tandis que la note pivot dans la figure des harmonizers sera entretenue, figée mais elle se trouve continûment modifiée à cause de l’utilisation du frequency shifter, qui sert à brouiller le phénomène de répétition. Ce type de « dialogue obscurci » contribue à ce qu’une certaine tension ou dissonance prenne forme à l’intérieur de la section, soit pour l’installer, soit pour la maintenir en fonction des précédents.

Exemple 3 : I/B, 13-17 (dialogue « obscurci », emploi du frequency shifter)

3.1.3     Environnement « éolien » : texture de trames immobiles, complétée de nappes sonores construites à l’aide de deux modules différents. Elle constitue une autre variante du premier type d’accompagnement. Cette fois-ci, les trames proviennent des sons de la flûte prolongés par la réverbération infinie tandis que les figures constituant les nappes sont produites par les harmonizers. Cet environnement « éolien », vibrant sera souvent réitéré dans d’autres sections comme II, XI, XIII.

Exemple 4 : I/D, 31-36 (texture proche de la flûte : harmonizer, réverbération infinie)

3.1.4      Réseau ou cadre « spatial » : dans certains cas, la grille des trames devient plus qu’un accompagnement, elle esquisse toute une toile ou un réseau spatial de hauteurs qui désigne les cadres-limites pour le « vagabondage », « l’errance » de la flûte. Ce quatrième type de texture important apparaît juste avant la fin de la 1ère section, tout en accumulant et entretenant la tension des séquences précédentes (son dispositif : flûte – frequency-shifter – réverbération infinie).

Exemple 5 : I/F, 50-54 (création d’un espace sonore grâce aux notes tenues, emploi de « réverbération infinie »)

3.1.5     « Contrepoint d’écho » : un deuxième type de thème ou sujet important se présente à la fin de la 1ère section. Des motifs d’ostinato sont constitués de triples-croches répétées. À ce thème de « chasse » ou de « fugue » s’ajoute un « contrepoint d’écho », formé par la prolongation de certains sons de la flûte, soit brouillés, soit laissés à l’état pur (son dispositif : flûte – réverbération infinie ; ou flûte – réverbération infinie – frequency-shifter).

Exemple 6 : I/G, 88-92 (effet d’écho ou de contrepoint –emploi de réverbération infinie et de frequency shifter)

3.1.6     « Technique de question-réponse ». Un vrai jeu de complémentarité de type question-réponse rhétorique est réalisé tout au long des IIème et IIIème sections de l’œuvre. Cette technique correspond à un certain principe de « développement » des idées musicales présentées au début de la IIème section. À l’instar du développement motivique connu des sonates et des concertos des XVIIIe–XIXe siècles, un type d’élaboration purement « figuratif » et « concertant » prend naissance avec, d’une part, les motifs-réponses réalisés au moyen des harmonizers,

Exemple 7 : II/ B, 51-52 (technique de question-réponse, emploi de harmonizer et de réverbération)

et, d’autre part, les « contrepoints d’accords » ou des nappes de sons complémentaires construits à l’aide de la synthèse additive dont le résultat est envoyé aux harmonizers « désaccordés » ou au frequency-shifter.

Exemple 8 : III/B +C+D (emploi de sons de synthèse)

3.2. Environnement sonore bruité, « menaçant » ou mécanique

Parmi les sonorités qui représentent le monde contrastant avec la flûte, les plus éloignées, bruitées et « aliénées » font partie de sections construites à l’aide d’interpolations de nature surtout rythmique (section V, par exemple).

La 4X, puisqu’elle suit et reconnaît toutes les notes jouées par le flûtiste, opère une détection d’un premier rythme dans l’exemple 6a [section II/A, 1-6], puis un second en 6b [section II/A, 7-9]. Ces deux séquences rythmiques sont alors mises en mémoire et, plus tard dans le cours de la pièce [section V], la 4X produit une interpolation entre le premier rythme et le second. A savoir que des séquences intermédiaires seront jouées, partant du premier rythme pour aboutir au second, dans lesquelles les notes les plus brèves s’allongeront et les plus courtes rétréciront (…). Il est tout à fait impossible de noter en écriture traditionnelle les rythmes produits dans cette interpolation car leur complexité deviendrait insoluble. Ainsi deux séquences détectées en deux endroits de la pièce peuvent servir de matériel de base dans un troisième moment[18].

Du point de vue des timbres, les sections à interpolations se servent des sons échantillonnés et parfois traités ultérieurement par la méthode de synthèse croisée, réalisée par le programme de phase vocoder APVOC.

3.2.1. Dans la Vème section, les sons d’un piano sont échantillonnés, filtrés puis transposés dans un espace non tempéré, grave, inaccessible à l’instrument réel. C’est ainsi qu’ils fournissent le matériau sonore bruité et « menaçant » qui, partant des sons de cordes métalliques dans le grave et de vrombissements étouffés dans les profondeurs, se transforment d’abord en deux couches inharmoniques différentes (texture de grain mixte à frottement mat puis rugueux), pour arriver à une série de « martèlements » effrayants rappelant le glas ou l’orgue imaginaire. Ici, ce sont le filtrage et le traitement d’un enregistrement des cordes graves du piano qui créent la sonorité de base pour la montée réitérée des faisceaux de grains bruités et percussifs.

Exemple 9: V/B, 7-10 (interpolation rythmique et partie électronique créée à partir de sons de piano échantillonnés, transposés, traités)

3.2.2. Au cours de la IXème section, les mêmes sonorités d’origine piano et tam-tam, traitées par la synthèse croisée, seront transformées en nappes montantes et descendantes (utilisant les grains[19] de résonance, ayant le caractère d’un frémissement sec, puis d’un frémissement métallique). Ces faisceaux en forme de tourbillon descendent pour retrouver le ronflement des cloches ou de l’orgue dans le registre grave, tandis que les Xème et XIIème sections de l’œuvre réitèreront les réminiscences des cascades granulées de type « frémissement métallique » ou « scintillement limpide », liées aux sonorités de cloche.

Exemple 10 : IX/C, 12-14

Partie électronique : cascades de sons utilisant la synthèse croisée (piano et tam-tam)

Parmi les sons de type étrange et lointain, il faut mentionner les autres sonorités spécifiques échantillonnées (tongue-ram[20] de la flûte, par ex.), sans intervention de la technique de traitement.

Parmi les actions données à effectuer à la 4X, figure le jeu d’un certain nombre de sons instrumentaux transformés, et qui répondent au jeu de la flûte. Des échantillons de sons de flûte, de tam-tam ont été digitalisés sur la 4X et sur VAX. Parmi les sons de flûtes figuraient différents modes de jeu : trille, flatterzunge, tongue-ram, harmoniques. La plupart de ces sons ont été traités une première fois par un banc de filtres numériques, programme installé sur le processeur vectoriel, afin d’imprimer sur le spectre de ces sons une enveloppe spectrale qui peut être composée par le choix du nombre de filtres et leur répartition en fréquence.[21]

3.2.3. La section VIII reprend l’idée de l’ostinato et du fugato : ici, les partenaires « ennemis » ou « adversaires » de la flûte seront les sons de tam-tam échantillonnés et transformés de telle sorte que les passages ascendants et descendants ressemblent plutôt aux sons de xylophone et vibraphone, tandis que les notes des pédales rythmiques réitérées dans les mêmes passages donnent une sonorité sourde ressemblant à celle d’un seau métallique.

Exemple 11 : VIII/A+B, 1-4 (contrepoint – ou fugato – entre la flûte et la partie S.T.R. : sons de tam-tam échantillonnés et traités)

3.2.4. La technique et la sonorité du fugato, y compris dans la partie « adversaire » de la flûte, seront reprises dans la Xème section d’une manière apprivoisée et radoucie. Ce n’est donc pas un hasard si la sonorité de « quasi xylophone » et de « quasi seau » est remplacée par un son plus proche de la flûte, à savoir l’effet tongue-ram de la flûte en sol échantillonné et utilisé dans les passages de contrepoints et de fugato.

Exemple 12 : X/A, 1-4

Fugato (partie électronique : effet tongue-ram de flûte en sol échantillonné)

3.3.5. Ce n’est pas un hasard non plus si, à la fin de la Xème section, les réminiscences d’ascensions et de tourbillons des Vème et IXème sections s’adoucissent, elles aussi. Dans les faisceaux ascendants et giratoires à matière granulée, se rencontrent et s’amalgament les sonorités d’origines différentes comme celles, un peu « percussives », de la flûte en sol, puis les grains de résonance fourmillante et scintillante de type « synthèse croisée » et, enfin, celles de l’orgue ou de cordes désaccordées.

Exemple 13 : X/B-X/C, 10-13

S.T.R.: amalgame de sons échantillonnés (à partir du tongue-ram de flûte basse échantillonné)

3.3. Environnement sonore éthéré, transparent, éolien, cristallin : sonorité de la flûte « idéalisée »

3.3.1. La technique de la synthèse additive pure, réalisée à l’aide de la table d’onde, avec son résultat préenregistré et déclenché par le suivi de la partition, produit des effets « d’arpèges éoliens » dans la dernière séquence de la IIIème section, tout en clôturant l’évolution du dialogue entre les sons synthétiques et la flûte. Ces passages d’agrégats sonores ont un timbre et une aura agréables, brillants, scintillants, avec une résonance plutôt métallique. Complétés par des effets sonores distribués dans l’espace des hauteurs, augmenté vers le haut et vers le bas, ils dépassent la sonorité « flûtée » de l’instrument réel.

Exemple 14 : III/F, 83-86

Dialogue (S.T.R.: synthèse additive)

3.3.2. Les effets d’une aura éthérée et idéalisée seront repris et « imités » à l’aide des harmonizers et de la réverbération infinie, en tissant une toile sonore scintillante, dans la dernière séquence de la IIIème section (III/G), ainsi que dans la coda de l’œuvre (section XIII).

Exemple 15 : III/G, 131-138

Environnement cristallin : les sons de la synthèse additive envoyés au freq.-shifter (131-134); les sons de la flûte envoyés aux harmonizers et à la réverbération infinie (135-138)

3.3.3. La technique de la synthèse additive combinée avec les « spectres filtrés » (en se servant des changements d’amplitude de la flûte échantillonnés en temps réel) est décrite par Philippe Manoury comme suit :

[…] Dans l’exemple sonore 5a [section VI/A-B] j’ai noté la description d’un son de synthèse additive dans lequel les hauteurs sont notées sur l’axe horizontal et les amplitudes ou intensités sur l’axe vertical. On peut constater que leur niveau d’amplitude est constant. Dans l’exemple sonore 5b on voit l’effet produit par une enveloppe spectrale qui filtrera plus ou moins suivant les cas les différents partiels de ce son synthétique. C’est-à-dire que tous les niveaux d’amplitude n’étant pas compris à l’intérieur de cette enveloppe seront filtrés et donc éliminés. Le résultat est une continuelle apparition et disparition de certaines fréquences suivant les endroits où se positionne cette enveloppe sur le son. L’exemple sonore 5c nous montre un déplacement de la même enveloppe sur le même son. On voit alors que ce ne sont plus du tout les mêmes groupes de fréquences qui sont présentés.

J’ai alors imaginé un système dans lequel les mouvements mélodiques de la flûte agiraient sur la morphologie des sons synthétiques. En d’autres termes, faire en sorte que les sons produits par la 4X se modifient suivant le jeu instrumental et créent ainsi une relation sensible entre le jeu du soliste et sa conséquence dans le domaine électroacoustique. Le procédé consiste à « accrocher virtuellement » cette enveloppe aux notes que produit la flûte et faire en sorte que les fréquences qui émergent de la 4X se situent dans une bande parallèle aux hauteurs de l’instrument. Dans son usage le plus simple cela consiste à faire apparaître les fréquences aiguës et disparaître les graves lorsque le flûtiste progressera dans la tessiture aiguë et vice-versa, mais il a été possible de l’utiliser suivant les mouvements contraires à ceux de la flûte ou décalés. L’intérêt de ce genre de processus est que la relation entre le soliste et les sons de synthèse devienne très vivante car, comme un sculpteur dégage une forme sensible d’un bloc de pierre brut, le soliste sculpte un son assez fruste en lui-même en dégageant des sous-ensembles qui évoluent conjointement avec lui. L’autre intérêt, plus compositionnel cette fois, est de pouvoir jouer séparément sur les qualités harmoniques et spectrales du son. C’est-à-dire qu’un son comportant une trentaine de partiels ne sera présenté que par des sous-groupes de ces partiels, tantôt dans un registre, tantôt dans un autre. Ainsi les caractéristiques harmoniques du son seront fixes pendant une période donnée, tandis que ses caractéristiques spectrales issues du filtrage opéré par les évolutions de la flûte varieront[22].

Ce type de synthèse connaît ses élaborations dans les sections VI et XII de l’œuvre. Cette fois, la description des effets audibles-perceptifs ne peut pas être définitive car les effets sonores changent chaque fois en fonction de l’interprétation. L’élément commun de ces sections, construites autour de la synthèse filtrée, sera la qualité de timbre toujours limpide, un peu métallique, « éolienne », rappelant de loin l’orgue retentissant. Ces timbres, ces effets se modifient selon les changements de registre, selon le degré d’harmonicité ou d’inharmonicité, et selon la fluctuation des différentes couches et spectres en fonction de la dynamique. Cette sonorité fait partie des sons « cosmiques » ou de sons de cloche « domestiqués », adoucis, comme si elle représentait une certaine atténuation de la situation par rapport aux timbres connus des séquences « conflictuelles » précédentes contenues dans les sections V, IX et X.

Exemple 16 : VI/A-B, 1-4

Environnement de la flûte : synthèse additive filtrée par la flûte appelée « modulation spectrale »

  1. Situations dramaturgiques

Après avoir parcouru les différents types de sonorités de base découverts dans Jupiter et les avoir décrits en partie, selon leurs fonctions dramaturgiques ou leur « sociologie des comportements musicaux », passons maintenant à la description des différents types de « situations dramaturgiques », c’est-à-dire aux différentes manières de construire une section de point de vue de la tension, qui permettent, par leurs assemblages, de constituer le drame musical imaginaire.

Comme dans tous les drames ou dans toutes les structures musicales possédant les caractéristiques du drame (à savoir : certaines ouvertures symphoniques ou certaines formes sonates instrumentales des XVIIIe et XIXe siècles), dans cette musique interactive aussi, la collision dramatique (musicalement parlant : le conflit de deux sujets musicaux ou, dans la musique classique et romantique, le développement motivique) est toujours précédée de situations préparatoires et elle est obligatoirement suivie d’un dénouement, d’une résolution du conflit. Ces trois situations essentielles sont toujours entourées de fonctions transitoires, à savoir :

–           les fonctions « préparatoires » du point de vue de tension,

–           les situations qui augmentent, accroissent la tension,

–           les situations qui prolongent, maintiennent la tension en créant un certain statisme à l’intérieur de la section.

Dans Jupiter, avec l’utilisation de la nouvelle technologie, l’élaboration, la réalisation de ces fonctions traditionnelles de la musique se passent d’une manière surprenante, inouïe et fort intéressante.

4.1. La fonction préparatoire

Les séquences préparatoires esquissent un certain jeu avec la tension à l’aide d’une dissonance de type à la fois harmonique et spectral. Dans la section I/A, l’ambiance préparatoire de « suspense » est créée par la superposition de deux types de tritons ou de septième diminuée : sol – do dièse ; et sol dièse – si – ré – fa qui se brouillent mutuellement, tandis que le timbre de la flûte est « troublé », lui aussi, par cette toile de timbres un peu plus artificiels et « voilés » qui sortent des harmonizers, puis prolongés par la réverbération infinie (cf. exemple 2, supra).

La section I/B ajoute à cette ambiance de suspense une légère modification des hauteurs, toujours autour du triton sol – do dièse, réalisée grâce à l’intervention de frequency-shifters (cf. exemple 3, supra).

Dans la IIIème section de l’œuvre, c’est le dialogue ininterrompu entre les figures de flûte et les arpèges de l’orgue imaginaire, créés par la synthèse additive, qui contribue à l’instauration du climat préparatoire caractérisant toutes les séquences entre III/A-F (cf. exemple 8, supra).

4.2. L’accroissement de la tension

Ce type de situation peut être réalisé à l’aide de l’augmentation, de la dilatation de « l’espace des hauteurs dissonantes » qui, au cours de la section I/C, se produit au moyen de trames et figures sortant des harmonizers. Dans la séquence I/G, il naît de l’utilisation d’une thématique traditionnelle tendue, l’ostinato, qui se déroule dans un réseau spatial brouillé (par la réverbération infinie envoyée au frequency-shifter). Le développement de la tension s’effectue par des moyens complexes dans la toute dernière séquence de la IIIème partie : les figures agitées ascendantes et descendantes de la flûte évoluent dans un espace d’harmonies dissonantes, élaboré avec la synthèse additive dont les accords seront envoyés aux frequency-shifters. Cet espace se meut, lui aussi, en se dilatant vers l’aigu et en se rétrécissant à la fin de la section. Ce sont donc ici tout à la fois les spectres, le degré d’inharmonicité, les harmonies dissonantes, ainsi que l’utilisation changeante de l’espace, puis la partie figurative-agitée de la flûte qui expriment l’accroissement de la tension au moment de l’aboutissement de la première grande partie de l’œuvre (cf. exemple 15, supra).

4.3. Les sections statiques

Les sections statiques se trouvent surtout à l’intérieur de la première grande unité de l’œuvre et se réalisent à l’aide de multiples moyens. Dans la séquence I/D, la sensation de statisme provient de l’utilisation des trames dans l’aigu (harmonizers + réverbération infinie), tandis que la sensation de dissonance prolongée résulte de notes pivot de septième diminuée qui donnent les points de repères pour les figures de la flûte et des harmonizers (cf. exemple 4, supra).

Dans la séquence I/F, c’est le contraste entre le réseau spatial relativement statique (frequency-shifters – réverbération infinie) et le vagabondage dans tout l’espace autour du sol aigu et de do dièse grave qui crée l’impression de dissonance prolongée (cf. exemple 5, supra).

4.4. Les sections de type « question rhétorique»

Les sections de type « interrogation » ou « question rhétorique » qui précèdent le conflit du drame sont, toutes, les variantes du motto initial composé à partir du nom de Larry Beauregard. Cette série de notes nous rappelle un geste ou un signal d’interrogation ou d’exclamation répété deux fois et conclu à l’aide d’un troisième petit signal ou motif (cf. exemple 1, supra).

Ces variantes « orchestrées » à l’aide des harmonizers, du frequency-shifter et de la réverbération infinie reviennent dans toutes les sections critiques qui marquent l’articulation de la macrostructure de l’œuvre (IV, VII, XI, XIII).

Dans la IVème section, la reprise du motto marque le début du « développement », c’est-à-dire du commencement de la partie médiane de l’œuvre qui représente la confrontation dramatique de deux mondes différents. Dans cet espace un peu « irréel », brouillé et plus ou moins statique (des sons de la flûte sont envoyés à la réverbération infinie, puis au frequency-shifter), la flûte reprend les signaux gesticulants, interrogatifs, variés et entrecoupés par des effets de flatterzunge[23], des trilles longs et fluctuants du point de vue de la dynamique, ainsi que par des passages d’accords décomposés en doubles croches.

Exemple 17 : IV/A, 1-11, phrase de la flûte « accompagnée » de ses sonorités transformées

À partir de la séquence IV/B, on assiste à une descente, chute et immersion du point de vue des couleurs, de l’environnement de timbres et de registres. Par exemple, les trames données par les harmonizers descendent dans le médium et le grave, tandis que les sons propres de la flûte reçoivent une transposition directe et immédiate par le biais de leurs entrées dans les voix de l’harmonizertransposées une octave plus bas.

Exemple 18 : IV/B, 17-21, suite de la phrase de la flûte (traitement : comme dans l’ex. 17)

La toute dernière séquence de cette partie introductive du développement (IV/22-25) « remonte » à nouveau dans les registres aigus, uniquement pour augmenter le contraste avec les murmures bruités des profondeurs qui apparaissent dans le premier conflit du développement (Vème section).

La reprise du monologue « accompagné » hésitant, vacillant, tâtonnant et parfois oscillant de la flûte dans la VIIème section correspond à la fois au moment de repos, au point d’arrêt, et en même temps, à un retour aux « interrogations primordiales » en plein milieu de la confrontation des éléments obscurs et aliénés avec la flûte, de la Vème jusqu’à la Xème section[24].

Après les différentes phases de « dénouements » opérées dans la Xème section, la XIème partie marque une nouvelle césure, notamment le début de la réexposition de l’œuvre. Les réminiscences des conflits envahissants et des antagonismes excessifs connus des sections précédentes se manifestent sous forme de figures des harmonizers et de la réverbération infinie en répliques avec celles de la flûte, ou sous forme de superposition dense de trames un peu brouillées (réverbération infinie – frequency-shifter). La flûte elle-même reprend le motto sous forme de figures et motifs extrêmement agités, inquiets.

Exemple 19 : XI/A, 1-10, phrases agitées de la flûte (STR : harmonizer et réverbération infinie)

La toute dernière reprise du motto « interrogatif » et des signaux hésitants du solo se trouve dans la coda même de l’œuvre, c’est-à-dire, au cours de la XIIIème section, dans la clôture définitive, dans le dénouement cathartique qui apporte le « remède ultime » à la série d’interrogations et d’épreuves. Ici, le « vagabondage », le cheminement, la pérégrination ou la « promenade » de la flûte dans un espace statique et délimité, déjà bien connus, aboutissent enfin à l’alliance, à l’entente, voire à la fusion des éléments jusqu’ici inconciliables. Le motif « du doute », représenté par la dissonance de triton contenue deux fois dans le nom « Beauregard » (la – mi bémol et la bémol – ), ou sa forme transposée (do dièse – sol) s’unit, dans les toutes dernières mesures de l’œuvre, au monde transparent, éthéré, « éolien » des sons scintillants, cristallins et « consolants » d’une hypothétique transcendance.

Exemple 20 : XIII/B+C, 13-26, coda de l’œuvre

4.5. Les sections de collision, de confrontation

Alors que les sections de types « préparation » ou « prolongation de tension » nous rappellent une conception plutôt traditionnelle pour ce qui est du rapport flûte-accompagnement ou flûte-environnement (voir à ce sujet la description des objets sonores « neutres » et des situations dramaturgiques dans les chapitres précédents), les situations « conflictuelles » (et celle de « dénouement », chap. suivant 4.6) présentent un dispositif et un arrangement nouveaux, à caractère extrêmement vivant et pleins d’énergies sonores, inconnues jusqu’à ce moment dans l’œuvre.

C’est surtout dans les sections V, VIII, IX et X, puis dans les parties VI et XII, que naît le nouveau type de communication et d’interaction entre l’instrument traditionnel et la technologie contemporaine. Par rapport aux « sœurs cadettes » de Jupiter (Plutonou Neptune), l’exploitation des nouvelles affinités et correspondances entre instrument et dispositif électroacoustique dans les sections conflictuelles de Jupiter représente plutôt un stade d’expérimentation et de premier pas, bien qu’il s’agisse d’une expérimentation heureuse et fortunée en ce qui concerne l’explosion des forces expressives nouvelles et le jaillissement d’énergies convaincantes, parfois presque brutales.

4.5.1. Dans la Vème section, on assiste à une interaction de type « interpolation », qui se produit entre différents moments de l’œuvre à la fois (voir interpolations rythmiques dans la partie S.T.R. grâce aux échantillons pris dans la section II/A).

À cause de la complexité des événements exécutés, il nous semble difficile de décrire le résultat sonore perceptible de ce processus. En voici une tentative. En V/A (chiffres 1-6), les impulsions bruitées de cordes de piano, transposées dans le grave, ne sont que ponctuées par les appoggiatures de la flûte. Dans ce qui suit, au milieu de la section (V/B, 7-10), l’influence de l’instrument « acoustique » s’accroît et devient de plus en plus perceptible. Au moment où les cloches « aliénées » évoquent pleinement les bruits inconnus des profondeurs, la flûte elle-même devient de plus en plus éloquente avec ses trilles longs et expressifs (sons de flûte sont envoyés à la réverbération aiguë ou grave en V/B, 8-10).

Techniquement parlant, il y a deux ou trois phases dans les processus où la flûte commence à déterminer, puis détermine réellement le déroulement de différents types d’interpolations rythmiques, liés chaque fois à des événements différents, du point de vue de la sonorité aussi.

C’est à partir de la séquence V/B que le rôle de la flûte devient plus actif et plus déterminant. Dans la partie V/B, 8-10 elle provoque la prolongation de la partie synthétique à l’aide de la « réverbération infinie ». Les actions des chiffres 8-10 répartissent les sons dans les zones d’ambitus différents : grave – médium – aigu – extrême aigu (voir exemple 9 :V/B, 7-9, supra).

Ici naît véritablement une nouvelle « écriture » instrumentale et interactive, et se révèle le vrai sens de l’interaction sur laquelle le compositeur insistait tant dans ses articles et ses projets antérieurs. C’est ici aussi, à partir de la Vème section de l’œuvre, que l’effet audible devient le plus saisissant. On assiste, comme nous l’avons montré auparavant, à une descente vers le grave qui fait de nouveau retentir les cloches imaginaires des profondeurs, pour qu’ensuite se déroule une remontée graduelle à travers les registres et, en même temps, sur l’échelle de niveau de communication entre le monde « aliéné » et le « protagoniste » de l’œuvre. A la fin de la section, la flûte prend le commandement : c’est donc à elle, l’héroïne de cet itinéraire imaginaire, de dominer le monde hostile des bruits et des ténèbres.

Vers la fin de la Vème section, à partir de la séquence V/C, entre les numéros 13 et 24, les différents gestes de la flûte engendrent de différents types d’événements « actifs » ou « passifs ».

Les actions GO provoquent la continuation de la séquence et figent le premier événement dans la réverbération infinie. Les actions STOP arrêtent le déroulement de la séquence et figent le dernier événement dans la réverbération infinie[25].

C’est donc à l’aide d’un processus technologiquement développé et suffisamment raffiné que la situation dramaturgique du conflit entre le héros et son environnement hostile se transforme graduellement en une « situation domestiquée » par le héros, qui arrive à maîtriser et à dominer, au moins rythmiquement, les sonorités menaçantes des profondeurs.

Exemple 21 : V/D, 22-24 (S.T.R. : les sons de la flûte déclenchent ou arrêtent le processus d’interpolation rythmique)

4.5.2. La VIIIème section propose un nouveau type d’interaction et, en même temps, un nouveau langage électroacoustique, avec notamment un fugato puis un contrepoint « synthétique » imaginaire et un peu « déplacé » (du point de vue des timbres[26]) qui est la conséquence logique de l’exploitation d’un dialogue entre flûte et partie électronique. Le « fugato » des motifs d’ostinato est développé dans les différentes voix selon les règles de l’imitation et du contrepoint, mais appliquées ici entre les différentes couches ou types de timbres, réalisant ainsi une polyphonie cachée (phénomène connu et courant de la musique baroque). La différence par rapport au style historique (et l’effet saisissant, presque diabolique et surnaturel de ce fugato) réside dans le fait qu’à partir de la section VIII/D, tous les motifs d’ostinato et d’imitation se feront entendre dans les parties « synthétiques » seulement, ce qui permet une vitesse beaucoup plus grande que celle réalisable par l’instrument à vent. Et si nous y ajoutons la particularité et l’audace des timbres presque crus, brutaux et quotidiens qui déterminent cette musique de « chasse » (caccia)empruntée aux époques de la musique « de cour » et des « musiques savantes », on arrive à mieux comprendre la cause de l’impact singulier, unique et fort complexe qu’a cette nouvelle musique « interactive ».

Le monde « contrastant », cette fois-ci, est représenté par le « contre-sujet » de la flûte, constitué d’abord de sons arpégés, puis d’accords tenus. Plus loin, les sons de flûte seront prolongés à l’aide de cinq voix de l’harmonizer envoyées à la réverbération infinie (VIII/D, 1-12). Cette partie de l’œuvre (section VIII) se termine, elle aussi, par les actions solistes de la flûte, qui arrivent à dominer et à vaincre la « poursuite », « la chasse » des sonorités aliénées (VIII/E). À la fin (VIII/F), l’interaction, pour ne pas dire la collaboration entre la flûte et la partie électroacoustique devient entièrement organique, à la fois d’un point de vue purement musical (voir les voix complémentaires) et d’un point de vue « technologique » : fusion ou contraste des timbres de la flûte et des timbres échantillonnés selon les sections du fugato.

4.5.3. Après ce mouvement de danse burlesque ou de poursuite presque grotesque, la IXème section réitère les souvenirs de la Vème section à interpolation. Selon notre interprétation, le sens et la caractéristique de cette variation sont doubles :

  1. D’une part, le « conflit de timbres » de la Vème section, notamment le contraste antagonique entre les sons bruités et graves des cloches inharmoniques menaçantes et la flûte, se transpose principalement dans la partie synthétique. Les cascades, descentes et montées de faisceaux sonores établissent la transition entre les nuages, les nappes de grains filtrés, les champs harmoniques limpides, tourbillonnants, aigus, et les trames continues dont le timbre se situe entre les cloches inharmoniques graves, irréelles, et les tenues bruitées, ronflantes et mécaniques.
  2. D’autre part, la variation par rapport à la Vème section se manifeste dans l’évolution du contraste « flûte versus sons électroacoustiques ». Cette fois-ci, la flûte n’intervient que ponctuellement (IX/A, B) et, à la fin de la section IX/C, les cascades et les tourbillons « l’emportent » à tel point que la flûte elle-même disparaît. On assiste donc à une dramaturgie renversée par rapport à la Vème section : l’aboutissement positif (du point de vue de la flûte) de la première section d’interpolation dans la partie V se transforme ici en une dramaturgie à l’issue fatale (toujours du point de vue de l’héroïne).

En résumant le sens de la « variation » observée dans la IXème section, on peut dire que la dimension double des timbres dans la Vème section (flûte contre bruits et cloches) s’étend à un espace de timbres tridimensionnel dans la IXème partie de l’œuvre. Les nappes limpides, cristallines ou les nuages granuleux filtrés et harmoniques représentent l’intégration des souvenirs de la synthèse additive filtrée connue de la VIème section de l’œuvre, assimilation opérée à l’aide de la technique de la synthèse croisée du tam-tam échantillonné et des sons de piano échantillonnés. La IXème partie représente donc une variante de la Vème, dans le sens où elle y ajoute les souvenirs des éléments de la VIème partie, générant une complexité croissante et en multipliant les significations en tant qu’accumulation d’éléments connus mais transformés.

C’est de cette manière, à peine perceptible, que l’écriture dans ce nouveau mode d’interactivité montre sa complexité : elle est capable de créer certaines significations lors d’une situation de départ (voir le conflit bidimensionnel de la Vème section, ou bien les différents types d’objets sonores entre les Vème et VIème sections), mais elle est aussi capable de les « développer » dans le sens du « développement motivico-thématique » de la forme sonate classique. Elle opère donc la synthèse, l’intégration ou la transition entre différents types d’objets sonores, tout en créant ainsi une dramaturgie symbolique, une ligne d’évolution à significations élémentaires positives ou négatives, une ligne d’évolution qui s’éclaircit ou s’obscurcit, s’ordonne ou se brouille, en suivant toujours les lois internes d’un langage symbolique connu depuis les plus grandes œuvres musicales des XVIIIème et XIXème siècles.

Exemple 22 : IX/B, 3-11

Flûte + faisceaux ascendants, descendants et tourbillonnants entre la couche inharmonique grave et la zone aiguë, cristalline

4.5.4. L’utilisation de ce langage symbolique devient univoque et éloquente au cours de la Xème section, qui représente à la fois l’accumulation des noyaux conflictuels du drame imaginaire et leur dénouement.

Cette fois-ci, dans le cadre d’une section relativement courte, on assiste à la réitération, sous un angle nouveau et varié, de tous les éléments des Vème, VIème, VIIIème et IXème sections[27].

Dans la séquence X/A, les éléments d’ostinato et de fugato entre flûte et partie synthétique reprennent, mais le dialogue devient « domestiqué » : la chasse, la poursuite, devient « apprivoisée », atténuée. Ici, la voix-partenaire électroacoustique de la flûte se sert des sons « proches » de la flûte, en particulier de l’effet tongue-ram de flûte en sol échantillonné (voir sa présentation à propos des objets sonores, chap. 3.1 supra et exemple 12).

Dans la séquence X/B, la partie de « contrepoint » de fugato (voir VIIIème section) commence à se transformer en fusées, rappelant de loin les sonorités limpides aiguës de la Vème section et surtout de la IXème, tandis que les séquences X/B et X/C unissent en faisceaux sonores montants et tourbillonnants dans le registre aigu les sonorités de cloches menaçantes (réminiscences de la Vème section) qui se transforment, au cours de leur ascension, en sonorités de type percussion, xylophone (souvenirs des VIIIème et IXème sections). En arrivant à l’extrême aigu (X/C et X/D), ces mêmes faisceaux prennent les caractéristiques éthérées, cristallines, « éoliennes » de la flûte idéalisée, typiques du matériau de la VIème section et de la flûte elle-même.

Étant donné que ces fusées, ces nappes ascendantes interviennent trois fois (allant vers l’extrême aigu pour y disparaître), cette montée porte en soi-même le dénouement du conflit, c’est-à-dire la résolution du drame. Les éléments du monde hostile, les bruits et les rythmes mécaniques menaçants (interpolation, ostinato, fugato) se transforment en sonorités « éthérées », représentant ainsi l’aboutissement à une sphère idéalisée de la « transcendance » ou, simplement, du dénouement.

Exemple 23 : X/C-D, 12-15

À l’intérieur de la coda, c’est-à-dire au cours de la XIIIème section, on assiste à une dernière réminiscence du conflit, sous forme de « questions-réponses » imaginaires et répétées trois fois. Les gesticulations de la flûte au cours de sa troisième intervention (III/B, 13-24) se métamorphosent, à l’aide des sons dérivés d’elle-même, en en figures éthérées dans l’aigu (flûte envoyée à l’harmonizer, puis à la réverbération infinie et au frequency shifter (XIII/C, 24-26 ; voir exemple 20, supra).

4.6. Sections de dénouement présentant la résolution de la tension

Dans le chapitre 3.3, nous avons tenté de donner une description à la fois technique et perceptible des sections VI et XII qui utilisent la synthèse additive filtrée. Dans ce cas, la modification des spectres et des harmoniques s’opère en fonction des changements d’amplitude de la flûte. On assiste à une vraie démarche interactive dans laquelle la flûte « découpe » les régions harmoniques selon son registre propre et les met en forme selon sa dynamique. En tant qu’enchaînement de séquences, ce type de section donne l’impression d’un statisme fluctuant, ondulant intérieurement, d’un flux sonore plutôt statique mais mouvant quand même sous la surface. On assiste là à une dialectique de la mise en route et du débrayage, à une dialectique toujours mouvante de raréfaction et de densification de contenus d’accords, ainsi qu’à une dialectique toujours perceptible de la fluctuation de l’espace des hauteurs entre l’état « plat » (trames continues) et l’espace rempli, peuplé jusque dans les registres les plus aigus (fusées et ascensions d’harmoniques et d’arpèges d’accords).

La fluctuation de ces trois dimensions musicales qui, dans la musique dite « historique », caractérise le courant de « la musique répétitive », ne dépend cette fois que des mouvements de la flûte et du matériau partiellement préétabli grâce à la nouvelle technologie et à l’interactivité. Pour résumer, cette fluctuation d’événements musicaux se manifestant simultanément dans une triple dimension (temporelle, spatiale et spectrale) donne naissance à une surface sonore apparemment statique, faite de trames ou de cascades de glissandi, de gammes, de fusées d’harmoniques, et crée ainsi une ondulation sous cette surface toujours « transparente », « éolienne », « éthérée » et « limpide », grâce aux timbres de la synthèse additive, choisis pour leur « proximité » avec la flûte et pour leur teinte plus métallique.

La variante de cette VIème section décrite ci-dessus réapparaît dans la coda (XIIème section[28]), tout en intégrant les souvenirs lointains de bruits et de sonorités d’orgue (martèlement grave). Cette « intégration » introduit des structures inharmoniques, au moment où la flûte abandonne son mouvement calme, équilibré du point de vue rythmique et mélodique. À partir de cet instant, les trames aiguës et les cascades cristallines des harmoniques cèdent la place à des couleurs assombries, obscurcies, (XII/D, 4) et à des fusées composées de spectres inharmoniques (XII/E, 5-7), ainsi qu’à des couches et masses sonores « bruitées » (XII/F, 10). La partie de la flûte, elle aussi, devient agitée, irrégulière, capricieuse, composée de « points sonores » et de petits gestes en triples croches ou en trémolos marqués « strident » (XII/G, 12).

À partir de la section (XII/I, 14) s’installe un « interlude » de colonnes d’harmoniques et de statisme, qui cède à nouveau la place aux pulsations des cascades et des fusées inharmoniques (XII/J jusqu’à XII/O, 15-32).

C’est seulement à la fin de la section que le vagabondage de la flûte dans un espace sonore élargi ramène la série des harmoniques et des timbres éthérés, idéalisés, transparents (modulation spectrale : XII/O, 22-32).

C’est ainsi que s’opère la dramaturgie de « dénouement » en plein milieu de la coda, qui résume dans son cadre restreint l’itinéraire de l’œuvre entière : le chemin qui nous conduit de l’obscurcissement graduel jusqu’à un nouveau stade d’éclaircissement et de transparence.

  1. Les trois phases de la macrostructure

Pour résumer brièvement l’essentiel de la macrostructure, celle-ci se présente à nous comme une gigantesque forme-sonate dont l’exposition, le développement et la reprise sont réalisés en plusieurs étapes intérieures et en plusieurs dimensions, comme si l’œuvre montrait « l’hologramme » d’un itinéraire de type « sonate » par rapport à ce que cette même forme représentait au cours des XIXe et XXe siècles. Ce changement de « dimension » est dû, en particulier, à l’utilisation d’objets sonores déployés, exploités dans un espace bi- ou tridimensionnel, et non plus dans un plan unidimensionnel.

Il nous semble difficile d’exposer dans leur intégralité tous les procédés formels (du point de vue perceptif) présidant à l’utilisation d’un espace presque « tridimensionnel » des objets sonores. La description préalable des trois grandes catégories d’objets sonores (chapitre 3) pourrait nous servir de guide, mais la classification peut toujours se révéler insuffisante par rapport à la hiérarchie multidimensionnelle de timbres découverte dans Jupiter. En outre, il faut bien avouer que la partition elle-même ne peut plus servir de guide d’analyse, car les couches d’événements les plus importantes sont désormais incommunicables par le graphisme. Ce dernier ne peut indiquer que la seule dimension verticale du déroulement des événements (hauteurs et masses sonores situées entre l’aigu et le grave). Cette partition ne peut plus rendre compte de leur contenu ni de la matière timbrale.

Désormais, il faut penser, analyser et expliquer cette musique en d’autres termes, selon d’autres catégories, comme le suggère l’entretien de Pierre Boulez et Patrick Greussay avec Philippe Manoury intitulé « … Et la musique », publié en 1988 dans le numéro 44-45 de Traverses consacré aux machines virtuelles.

À la question de Pierre Boulez : « la recherche scientifique est-elle soumise à des choix esthétiques ? », Patrick Greussay répond :

Complètement ! On vivait hier dans un univers de logique, de règles, d’implications ; ça pouvait prendre beaucoup de formes, voire de formes graphiques. Il semble que le paradigme soit maintenant très différent : on pense en termes de paysages, de paysages d’énergie. Ne me demandez pas ce que c’est que l’énergie, personne ne sait et ne veut savoir ; […] Feynman là-dessus est très précis : un chapitre entier de son Traité de Physique expose les raisons pour lesquelles l’énergie n’est pas définissable mais elle est utilisable.

Néanmoins, on a affaire là à une grande malléabilité, et l’on peut creuser des trous, des vallées, dans des paysages d’énergie. À la suite de quoi on va produire la possibilité d’y faire déplacer des mobiles, des billes peut-être. Imaginez que vous avez un paysage avec des vallons, vous avez aussi des billes, et vous les lâchez. L’action tout à fait délibérée, c’est la force avec laquelle vous les lâchez, déterminant le comportement que va avoir la bille ; mais il n’aura pourtant pas le statut en quelque sorte « programmatif » d’un événement déduit à coup de règles. […] Là, il s’agit de quelque chose de tout à fait différent : les mots-clés deviennent fonction d’énergie, immunisation… On pense pratiquement en termes de transitions, de modulations, d’évolutions, ce qu’on appelle dans notre jargon, « évolutions chaotiques ». De quoi s’agit-il ? D’un système d’engendrements : imaginez une règle numérique qui permette d’engendrer un autre nom à partir du précédent et ainsi de suite… et vous pouvez moduler l’évolution d’un tas de façons. […]

En reconnaissant ces formes, il arrive même – et c’est l’objet de tout un courant actuel de recherches – que ça converge vers n’importe quoi et qu’on arrive à des systèmes « hallucinés ». Vous avez creusé des trous représentant des réponses précises à un ensemble de questions, vous avez lâché votre bille et elle se met à atterrir dans un trou que vous n’aviez absolument pas creusé mais qui est tout simplement la conséquence d’une mise en jeu mathématique, statistique et informatique de votre système, sans qu’intervienne la question des probabilités[29].

Les notions les plus importantes à retenir de ce nouveau regard sur l’évolution scientifique et esthétique seront donc les « paysages d’énergie » ou fonction d’énergie/immunisation d’énergie, les « évolutions chaotiques » non prévisibles et les « systèmes hallucinés » découverts d’une manière inattendue, comme par surprise.

Nous allons établir les systèmes de hiérarchie et de paysages d’énergie appropriés aux trois phases de l’œuvre : « l’exposition », le « développement », et la « réexposition » de ce parcours cathartique et « chaotique », phases réalisées d’une manière jusqu’alors inconnue, puisque le compositeur a eu recours à l’interaction en temps réel entre flûte et 4X (actuellement S.T.R.).

La fonction de chaque phase principale de ce drame est différente.

5.1. L’exposition (sections I-III)

La première grande unité de la macrostructure, c’est-à-dire l’exposition (sections I-III) a pour but d’introduire les principaux matériaux et leurs fonctions. Leur mode de présentation sera une alternance de questions et de réponses (voir par exemple le mottoou le signal du début et ses variantes à l’aide des catégories expressives telles que le « suspense » ou la prolongation de la tension). Un autre mode d’introduction est le principe de jeu (voir la série de « jeux gratuits » ou de complémentarités motiviques-harmoniques entre la flûte et les sons synthétiques). Tous les traitements techniques et les matériaux défileront ainsi au cours des IIe et IIIe sections.

Il faut bien souligner que cette première grande unité, centrée sur la flûte, a pour but principal, semble-t-il, d’introduire toutes les « techniques classiques et historiques » du développement figuratif d’un matériau, au sens de la virtuosité motivique ou ornementale et de ce que l’on appelait au XIXe siècle « variation de forme », variation de la structure verticale d’un thème ou d’un motif (voir les traités de formes et de compositions musicales d’Adolf Bernhard Marx jusqu’à Schoenberg, utilisant le terme et la notion de « Formelvariation »).

Cette fois-ci, la variation et le développement figuratifs de la structure verticale et horizontale se complètent d’une troisième dimension de l’espace, telle que la variation de timbres, des spectres sonores et da polyphonie de timbres. Mais malgré la nouveauté du matériau de cette première partie introductive, le jeu d’alternance entre tension et détente est conçu de manière complètement traditionnelle : la construction et le développement varié du matériau restent toujours dans le cadre « historique » de la conception thématico-motivique de la musique.

C’est ainsi qu’au cours de cette première grande unité de l’œuvre, la technique d’interactivité ne sert qu’à enrichir, à doubler, à multiplier (du point de vue des timbres et des objets sonores) la variation des matériaux traditionnels. Voici quelques exemples sonores concrets à l’appui de cette thèse concernant l’interprétation de la fonction de « l’exposition ».

5.1.1. La première section (I/A) se déroule sous le signe de l’introduction et de la prolongation de deux types de tension, d’une part, et de leurs accroissements en vue de préparer le premier jaillissement d’énergie, encore de faible envergure, sous la forme de l’ostinato-poursuite dans le « fugato », d’autre part (I/G). La toute première phrase mélodique du solo représente la « question »[30] composée autour de deux tritons, tandis que la « réponse » tendue, composée d’un autre triton, prend une forme harmonique de par le prolongement des notes de flûte avec l’harmonizer (I/A, cf. exemples 1 et 2, supra).

À partir de I/B, on assiste au jeu entre les questions-gesticulations de la flûte et les réponses fournies par le système de traitement (autour du triton do dièse-sol). Cette section est une variante « timbrale » et spectrale de la précédente, réalisée par l’envoi des notes de la flûte au frequency-shifter, puis à l’harmonizer, d’autres voix étant maintenues depuis la section I/A à l’aide de la réverbération infinie.

Dans les séquences I/B, C, D on assistera respectivement

– à une variante figurative (harmonizer et variante spectrale par freq. sh.) ;

– à une autre variante « harmonique » par les accords tenus, en dilatant progressivement l’espace vers l’aigu (quatre voix de l’harmonizer plus réverbération infinie) ;

– et à une variante à la fois figurative et harmonique qui place le dialogue de mélismes-motifs dans un espace « suspendu d’en haut », « accroché » à une ligne continue, flottante, un peu oscillante et presqu’irréelle car réalisée dans l’extrême aigu (flûte + quatre voix de l’harmonizer pour le dialogue ; réverbération infinie prolongeant certaines notes aiguës sortant des harmonizers pour la trame aiguë flottante).

La séquence I/E introduit une variante motivique du motto initial interprétée par l’instrument solo (= « question »), tandis qu’en I/F on assiste à une variante plus tendue de la « réponse-suspense ». Ici, la flûte, pérégrinant et gesticulant autour des notes d’une septième diminuée (servant de notes pivots), est située dans un espace donnant l’impression d’une stabilité relative, de dissonance harmonique et spectrale (frequency-shifter envoyé à la réverbération infinie).

Cet accroissement durable, voire longuement prolongé de la tension mène à un changement de « sujet », à un autre stade du parcours, à savoir l’introduction en I/G du thème-motif « ostinato » qui représente une autre source d’énergie par rapport aux éléments connus.

Le schéma suivant essaie synthétiser les aspects les plus importants (c’est-à-dire la fonction dramaturgique de chaque section et l’alternance de tension/détente entre ces sections). Voir tableau 1.

EXPOSITION

 

Section I

I/A I/B I/C I/D
Fl. : do # (note pivot) Fl. : sol Fl. : do # pivot Fl. : tritons sur do #; et fa,
S.T.R. : Harm. + Rév.inf. S.T.R. : Fr-sh. → Harm. S.T.R. : Harm. + Rév.inf. S.T.R. : Harm. + Rév. Inf.
Fonction : préparation(tension) Fonction : préparation (tension) Fonction : crescendo composé (tension) Fonction : dialogue virtuose (détente)

Section I/ suite

I/E I/F I/G
Fl. : solo Fl. : mélodie atonale,tournant autour des pivots de do # et fa # Fl. : ostinato chromatique autour de la et de sol avec accompagnement de la S.T.R.
S.T.R. : Fr-sh. → Rev.inf. S.T.R. : Fr-sh. → Rév.inf.
Fonction : transition (tension) Fonction : mélodie pérégrinant dans un espace limpide, statique (détente) Fonction : arrivée, point culminant

tempo : noire = 80 (tension)

Tableaux 1 : schéma de l’exposition (sections I/A-I/G)

5.1.2. Les IIe et IIIe sections ne font qu’exploiter les potentialités cachées de ces matériaux et de leurs traitements mentionnés à propos de la partie I/A-G.

La section II/A présente simultanément les deux formes d’expression de la tension : la variante figurative-rythmique, ornementée, du motto-question et le réseau polyphonique brouillé, composé d’accords à contenu spectral et harmonique dissonant comme accompagnement (harmonizer – réverbération infinie ou frequency-shifter – harmonizer – réverbération infinie).

La section II/B sera une variante du dialogue de figures complémentaires entre la flûte et les quatre voix de l’harmonizer, dialogue placé dans un espace « désigné d’en haut » : cette fois-ci l’ambiance, le « ton », c’est-à-dire la signification-connotation perceptive, monte aussi avec l’ascension dans les registres et avec l’éclaircissement, l’amenuisement (jusqu’à la disparition) des masses de timbres dans l’aigu. Une telle « variante spatiale et timbrale » des idées n’aurait pu être réalisée sans l’interactivité en temps réel. Ceci concerne la prolongation des hauteurs vers les registres autrement inaccessibles, et la désinence figurative et polyphonique liée à la partie de flûte (désinence dont la richesse dépasse de loin celle de la flûte).

Du point de vue de la dramaturgie (c’est-à-dire de fonctions dramaturgiques), toutes les séquences de la section II A-C participent à l’accroissement de la tension, surtout de manière figurative, harmonique et spectrale (harmonizer frequency-shifter → réverbération infinie).

5.1.3. La IIIème section double aussi bien la tension que le dispositif, étant donné qu’elle exploite le contenu de la séquence II/A dans son déroulement et dans son intégralité. On assiste là à une véritable série de représentations contemporaines du phénomène de la variation de structure ou de la forme verticale (« Formalvariation », codifiée au XIXème siècle). En effet, les techniques de traitement, d’entretien, de transposition, de retard et de transformation spectrale sont complétées par la partie « préenregistrée » de la synthèse additive.

Le dialogue entre flûte et voix synthétiques se déplace dans un cadre à plus de deux dimensions. La réalisation de la complémentarité, de la prolongation ou du contraste entre les deux partenaires prend parfois la forme d’un conflit, d’une collision anticipés. Grâce à la technique de la synthèse additive pure, à laquelle s’ajoutent les techniques de transformation et de prolongation déjà connues, la couche-partenaire de la flûte, très complexe, devient un orchestre synthétique imaginaire par le nombre des voix et leur foisonnement rythmique. À cause de cet enrichissement du dispositif et de ses éléments sonores, la IIIèmesection aura pour fonction d’augmenter la tension et d’accroître l’énergie du dialogue introduite au cours des Ière et IIèmesections. Cet accroissement d’énergie se fait principalement par l’extension graduelle de l’espace bidimensionnel et du peuplement, de l’occupation progressive de cet espace : « remplissage » fait à l’aide de figures et de « polyphonie » extrêmement virtuoses dans les voix synthétiques.

Voici quelques exemples de l’utilisation et de l’occupation de l’espace sonore.

  1. Les premières présentations et « orchestrations » de l’espace se déroulent dans III/A-E. La synthèse additive produisant des accords à cinq puis à sept voix (certaines envoyées à l’harmonizer « désaccordé » – ‘Detune H’ – puis au frequency-shifter), donne une sonorité proche d’un grand orgue comme type d’accompagnement de la flûte. En III/A et III/C les « accords d’orgue » suivent les notes-clés longues de la mélodie ornementée de la flûte, en lui fournissant un accompagnement de notes tenues. Tandis qu’en III/B et III/D, les accords synthétiques de type « orgue »[31] deviennent des impulsions qui suivent chaque geste rythmique de la flûte selon une isorythmie parfaite. (Voir l’exemple 8 supra pour III/B et III/C, 9-20.)

Exemple 24 : III/D, 21-33 (accords de sons de synthèse additive, déclenchés par la flûte)

En III/E, le même espace et le même type de sonorité réunissent les deux éléments jusqu’alors séparés ; dans un registre super-aigu, les figures et les impulsions animées de la flûte seront accompagnées d’accords éthérés de type de « texture scintillante », qui suivent l’instrument tantôt en trames, tantôt en impulsions.

  1. Une extension, une augmentation de l’espace et des voix synthétiques de type « orgue » et de sonorité éthérée, flûtée, commence en III/F. La partie « libre, détendu, quasi improvisando» de la flûte (III/F, 65) sera complétée par des arpèges éoliens, métalliques, ascendants et descendants, ayant douze puis seize voix lors de leurs arrêts. Cette « orchestration » devient de plus en plus riche et complexe (synthèse additive –> frequency-shifter à III/F, 87-100) mais elle conserve toujours sa texture limpide à résonance scintillante.
  2. Le troisième niveau d’exploitation de l’espace prend forme en III/G, quand l’accompagnement par les accords tenus mais raréfiés dans la tessiture aiguë de la synthèse additive est complété de ces voix de synthèse envoyées au frequency-shifter d’une part, et de voix engendrées par la flûte à l’aide des harmonizers et de la réverbération infinie, d’autre part. C’est à ce moment que naît une toile sonore extrêmement complexe, faite de textures « nodales » statiques et de scintillements vibrants dans l’extrême aigu, pour servir d’encadrement au monologue virtuose de la flûte (cf. exemple 15 supra, section III/G)

Exposition : section III (reprise – à l’aide d’augmentation – des éléments de la IIe section)

III/A-B III/C III/D-E
Fl. : jeu très ornementale et rythmique Fl. : trille et ornements (appoggiatures) Fl. : jeu figuratif et rythmique
S.T.R. : synthèse additive S.T.R. : synth. → Fr.Sh S.T.R. : synth. ; Fl → Rév. Inf.

Fonction : registre super-aigu

Fonction : mélodie accompagnée(tension) Fonction : préparation (tension) style « éthéré » (détente)
III/F III/F : Fin (entre ch. 87-100) III/G
Fl. : « libre, détendu, quasi improvisando » Fl. : « Très lent » Fl. : monologue enjoué, ornemental (mélodie tournant autour des pivots)
S.T.R. : synthèse et Rév.inf : arpèges complémentaires en écho S.T.R. : synth. →  Fr. sh. S.T.R. : synth. →  Rév. Inf.
Fonction : style « rubato » en question-réponse (détente) Fonction : jeu de complémentarité dissonant (tension) Fonction : monologue entouré d’un halo scintillant (détente)

Tableau 2 : schéma de l’exposition (sections III/A-III/G)

5.2. Développement (sections IV-X)

Alors que l’exposition (sections I-III) est conçue selon le principe d’augmentation et « d’orchestration »[32] du dialogue entre la flûte et les voix électroacoustiques complémentaires, le développement de cette forme sonate multidimensionnelle obéit au principe d’évolution des matériaux contrastants, en réitérant les situations dramatiques faites de collisions et de dénouements.

Le développement se déroulera en deux étapes.

En IV-V-VI, on assiste à la première présentation « brute » du conflit et de son dénouement. En VII-VIII-IX-X, à la variante augmentée, amplifiée, enrichie de la même problématique et de sa résolution. Le conflit se présente cette fois-ci sous deux formes, deux réalisations distinctes, et son dénouement devient lui aussi plus complexe. Chaque situation de conflit est précédée d’une variante du motto interrogatif, c’est-à-dire d’une variante de la question rhétorique composée à partir du nom de Larry Beauregard : dans les sections IV et VII.

5.2.1. Premier stade du développement (sections IV-V)

La section IV, comme on l’a déjà montré à propos des « situations dramaturgiques », reprend le ton méditatif, lent, incertain et irrégulier du solo, tandis que son environnement correspond entièrement à l’ambiance de « suspense ». La deuxième phase de motifs de question rhétorique (IV/B) plonge dans des registres inférieurs et s’obscurcit (timbres mats, un peu bruités). La dernière étape remonte dans des tessitures suraiguës. Cette variante de la question introductive décrit donc le parcours esquissé ci-dessous, comme si elle voulait anticiper les trois dimensions et niveaux de la scène du développement :

Tableau 3 : registres de la section IV

De fait, le phénomène de tridimensionnalité, né dans la Vème section, signifie que désormais le cours des événements et l’espace sonore ne sont plus déterminés par la seule flûte et son parcours bidimensionnel. À la place de celui-ci, des processus sonores dynamiques affectant toutes les dimensions (hauteur, durée et spectres de l’espace imaginaire) offrent un cadre aux manifestations minimes de la flûte (manifestations réduites et dégradées par rapport à la complexité de son environnement).

La section V introduit un environnement menaçant, bruité pour la flûte, comprenant :

  1. une masse bruitée de type « vrombissement » et « ronflement » à rythme mécanique, irrégulier, puis à impulsions régulières vives et percussives (V/A). Les interpolations rythmiques se font entre ces deux rythmes-cadres :

Exemple 25 (interpolation, début de la section V)

  1. la naissance (ou l’existence parallèle) de deux couches sonores différentes préenregistrées dont l’une, dans le médium, possède des objets sonores plus clairs, mais qui se rapproche tout de même du faisceau montant du grave vers l’aigu (V/B).
  2. l’émergence de sonorités de cloches « irréelles » (parce que trop graves et trop inharmoniques et bruitées) qui lient deux types de rythmes complexes, d’abord irréguliers puis plus réguliers, par l’interpolation (V/C). Parallèlement, on assiste à une triple ascension de masses sonores graves de type « cloches », montant vers le médium et l’extrême aigu.
  3. les couches de bruits initiales deviennent plus métalliques mais s’associent toujours aux transitions mécaniques et complexes de certaines formules rythmiques.

À cet instant (V/C), la flûte devient progressivement un vrai partenaire de ces masses sonores « aliénées ». Elle fait ses premiers pas « pour trouver sa place » dans cet espace démarqué par les processus multi-timbraux (trames ou faisceaux ascendants et descendants), mais relevant d’une vie rythmique intérieure intense, comme nous l’avons vu au sujet des types de « collision ». Au départ, la flûte ne donne que les ponctuations, les césures pour ces processus dynamiques sonores, mais vers la fin de la section, c’est elle qui gouvernera les démarrages et les arrêts de ces mêmes processus (voir signes « GO » et « STOP » dans la partition).

5.2.2. Section VI

Le conflit entre le monde multidimensionnel et l’instrument solo trouve son premier dénouement dans la VIème section, où l’ambiance éthérée des couleurs et des pulsations plus euphoriques sera enfin gouvernée, pilotée et éclairée par la flûte (partie électronique marquée « modulation spectrale » p. 19, VI/A). D’une manière métaphorique, en nous servant de l’interprétation de la symbolique cachée dans ce langage interactif, cela exprime que le monde-ennemi, l’environnement aliéné de la flûte se transforme en une ambiance « apprivoisée » par la flûte et guidée par elle. Autrement dit, l’ambiance complexe, l’environnement spatial et tridimensionnel restent toujours valables, mais ils se « soumettent » au « pilotage spectral, rythmique et harmonique » de la flûte. C’est ainsi que cette VIème partie, utilisant la synthèse additive filtrée par les mouvements de la flûte, opère et réalise le dénouement apaisé, ondulant et statique de la collision avec les bruits et le martèlement de cloches.

5.2.3. Deuxième stade du développement (sections VII-X)

La réitération de la question rhétorique en VII, toujours dérivée du motto initial, mise cette fois-ci sur l’exploitation de l’espace. Une toile sonore tissée de trois trames (du médium jusqu’à l’extrême aigu, à l’aide de trois notes de la flûte envoyées à la réverbération infinie) offre un cadre et un arrière-plan aux gesticulations rythmiques et motiviques de la flûte. Cette section est l’exemple sonore d’une écriture nouvelle de type « multiplication » de sons de la flûte : les sons d’un même instrument servent à la fois à établir un environnement sonore statique, légèrement oscillant (toile polyphonique) et à représenter un monologue virtuose composé de gestes prolongés (trilles) suivis de mouvements ponctuels rythmiques contrastants (appogiatures, triples croches répétées, signaux et fusées rythmiques, etc.). Ces gestes individuels sont à la base de l’enregistrement des rythmes qui seront interpolés au cours de la IXème section.

Exemple 26 : VII/A, 1-4

Après cette deuxième introduction au cœur du développement, le deuxième type de collision intervient (VIIIème section). Il s’agit d’une collision de type « ostinato », où les différentes voix bruitées (tam-tam échantillonné donnant des sonorités de seau et de xylophone et autres ; voir leur description dans le chapitre 3 sur les objets sonores) entrent en conflit avec la flûte lors d’un fugato conçu en fonction de la hiérarchie des objets sonores percussifs et rythmiques.

Le caractère grotesque, mécanique, bruité, boiteux de l’ostinato et du fugato (décrit dans les « situations de collision ») s’amplifie au cours de son développement interne. L’aboutissement de cette « confrontation » sera négatif : les motifs d’ostinato de la 4X, aliénés et mécaniques puis de plus en plus irréguliers, « poussent » la flûte à perdre ses caractéristiques motiviques, rythmiques et timbrales jusqu’à une disparition graduelle, suivie d’une irrégularité rythmique et d’un vagabondage dispersé dans l’espace (voir séquence VIII/F, ex. 23).

La IXème section reprend et développe l’idée et la technique de la première collision à interpolations rythmiques (rencontrée dans la Vème partie). On assiste à une réintroduction variée des masses sonores menaçantes, dont le but est de créer un environnement hostile et aliéné pour la flûte. La variation ou l’évolution par rapport à la Vème section présente au moins trois caractéristiques :

– L’interpolation des rythmes se déroule dans le sens inverse : ici on va des rythmes réguliers vers les rythmes irréguliers, voire des rythmes plus « proches » de la flûte, car non mécaniques.

– L’espace sonore environnant est composé non seulement de masses bruitées de cloches et de cordes graves et médiums, mais on assiste à une transition progressive, une métamorphose qui nous guide des faisceaux ou nuages granuleux filtrés, (harmoniques de type « frémissement métalliques ou secs ») jusqu’aux vrombissements étouffés et aux martellements de cloches graves et de bruits, en un mouvement presque toujours descendant cette fois-ci (à l’inverse du triple mouvement ascendant des faisceaux dans la Vème section). Donc, en matière d’objets sonores, il s’agit d’une intégration, finement réalisée sous la forme d’une variante logique des souvenirs des VIème et VIIIème sections, par l’incorporation de sonorités métalliques et percussives, grâce à la technique de la synthèse croisée qui unit et amalgame les sons de tam-tam et de piano échantillonnés.

– Le troisième aspect de la variation se présente dans la finalité négative de cette section. Alors que dans la section V la flûte dominait le monde des bruits, l’issue de la IXème section épouse celle de la VIIIème : les faisceaux descendant dans les profondeurs étouffent la flûte et la réduisent au silence.

Comme nous avons montré en détail les caractéristiques de variation et de développement opérées dans la Xème section (à propos des situations de collisions), je me contenterai de souligner ici leurs principaux traits :

– Intégration et modifications légères de tous les types d’objets sonores connus des deux collisions principales (Vème et VIIIèmesections) ; effet de tongue-ram de la flûte en sol qui se transforme en fusées puis en faisceaux sonores granulés de type métallique, limpide (VIème section) et faisceaux qui représentent un amalgame de bruits filtrés et de souvenirs de sonorités percussives des Vème et VIIIème sections.

– Tout en gardant le dialogue et le principe de complémentarité permanente avec la flûte, les masses sonores produites par la 4X vont chaque fois vers les tessitures aiguës, puis suraiguës, en y disparaissant, soulignant ainsi l’aboutissement « positif » de la section et assurant le dénouement temporaire des deux conflits principaux.

Le tableau 4 présente la maquette dramaturgique du développement entre IV et X.

IV   V VI
IV/A :

motto et commentaire

Fonction : chant et commentaire détente

IV/B :

Fl. : gestes motto et transposition vers le registre grave à 20, signaux vifs répétés à partir de 22

Fonction : préparation (tension)

 

Collision I à l’issue positive

 

V/A, B :

Fl. : trilles triton et gestes

S.T.R : sons de piano grave traités, puis cloches, interpol. rythmique.

Fonction : tension collision c’est la flûte qui déclenche les événements

 

Dénouement temporaire

 

VI/A→VI/Q :

Fl. : notes répétées signaux

S.T.R. : synthèse additive filtrée harmoniques et spectres pilotés par la flûte – voir registre dynamique

Fonction : détente

VII VIII IX X
VII/A, B, C :

Fl. : matériau A = mottoéléments ponctuels et commentaires

S.T.R. : rév. inf. et rythmes enregistrés interpol.

Fonction : gestes et accompagnement détente.

VIII/A→VIII/F :

Collision II à l’issue positive

Fl. : ostinato

S.T.R. : sons de tam-tam traités et sons de synthèse en fugato, en imitation avec la flûte

Fonction : tension à la fin, la fl émerge des sons de l’ostinato de synthèse ambiants

IX/A, B, C :

Fl. : trilles ; éléments ponctuels, puis notes répétées

S.T.R. : nuages de sons de synthèse en glissandi, interpol. rythmique à partir de la section VII

Fonction : tension de collision ; à la fin, la flûte n’émerge pas des sons de synthèse

X/A→X/D :

Variante et synthèse de collisions I et II, collision à l’issue positive

Fl. : ostinato, puis signaux

S.T.R. : sons de synthèse en imitation, puis X/C-D en nuages de glissandi.

Fonction : tension de collision

Tableau 4 : maquette dramaturgique du développement entre sections IV et X (correspondance des fonctions entre certaines sections)

5.3. Réexposition (sections XI-XIII)

Après les « évolutions chaotiques ou ordonnées » de l’énergie (Vème, VIIIème, IXème sections), après « l’immunisation de ces tensions » (Xème section) et la prise de connaissance des « systèmes hallucinés » (VIème partie), la réexposition offre un bref aperçu rétrospectif et sélectif des événements principaux.

La section XI reprend l’idée de motifs et de gestes agités, interrogatifs de la flûte, dans un espace désigné par une toile sonore statique. Le spectre complexe ou l’objet sonore spatial, plus métallique et de plus en plus semblable aux cloches, résulte ici de l’utilisation de la réverbération infinie liée aux harmonizers, ou envoyée aux F.SH. à la fin de la section.

La partie XII évoque le souvenir de la pérégrination du solo dans un espace en dilatation-contraction, éclaircissement-obscurcissement, ascendant et descendant, suivant toujours les initiatives de la flûte (« modulation spectrale » : page 32, XII/A). Cet espace sonore fluctuant, constitué d’objets sonores limpides, transparents, flûtés, éoliens et métalliques, renvoie à la « transcendance », à la solution offerte aux événements antérieurs.

La séquence médiane de la section présente la réintégration « filtrée » des réminiscences du monde aliéné de bruits et de cloches funèbres, en transformant les séries d’harmoniques en colonnes d’espace inharmonique (XII/H et XII/I). Cette XIIème partie réalise, elle aussi, son propre dénouement : à la fin de la section (XII/O, 21-32), la flûte entreprend sa promenade irréelle, transcendante au milieu des sonorités les plus éoliennes et les plus scintillantes jamais entendues depuis le début de la VIèmesection.

La XIIIème section représente le dénouement définitif et décisif de l’œuvre. Au départ, elle réintroduit le vagabondage de la flûte dans un espace enfin démarqué par les trames continues « harmoniques », aiguës, brillantes, éoliennes donc « idéalisées ». À la fin de la section (XIII/B et C), les motifs de tritons cachés dans le motto initial et dans toutes les sections « d’interrogation » s’unissent au scintillement accentué dans les trames suraiguës. Cet effet représente à la fois les souvenirs des dénouements observés dans les VIème et XIIème sections et des masses sonores disparaissant dans les registres suraigus à la fin des Xème et XIème sections.

C’est ainsi que l’intégration de deux éléments et de deux mondes contrastants, suivie d’une « transfiguration », peut participer à l’instauration d’un nouveau stade dans le discours, d’un nouveau système de valeurs.

Schéma abrégé de la réexposition :

XI XII XIII
XI/A→XI/D

Fl. : Variante de la phrase A = du motto initial : « libre » : gestes, figures en doubles-croches, trémolos, ligne mélodique, signaux

S.T.R. : rév. inf.

Fonction : détente

 

XII/A→XII/O

Variante du dénouement en VI.

Fl. : figures rythmiques et signaux contrastés, puis figures en doubles croches, puis notes tenues, puis ligne mélodique espacée

S.T.R. : synthèse filtrée, puis synthèse en dialogue

Fonction : détente

Variante de la question initiale : fusion du motto de doute et de l’ambiance de dénouement

Tableau 5 : Schéma abrégé de la réexposition

  1. Conclusion

Notre analyse de Jupiter cherchait à démontrer que l’utilisation de la technologie la plus récente n’exclut pas les principes et les moyens d’une dramaturgie tripartite et cathartique archétypique, commune à toutes les époques et à tous les genres historiques. Au contraire, elle peut inspirer l’artiste et le pousse à faire appel à celle-ci. C’est ainsi que se rencontrent « le transitoire et l’éternel », éléments de cette fausse opposition défiée et traitée dans un autre article de Philippe Manoury[33].

Les critères de valeur d’une œuvre d’art ne changent ni ne varient d’une époque à l’autre : seul le langage artistique évolue, véhiculant de messages parfois communs à toutes les époques.

Avec cette œuvre, Philippe Manoury a réalisé un premier pas décisif et extrêmement convaincant sur le chemin de la création d’une nouvelle hiérarchie signifiante (et « communicante ») des composants sonores ou des éléments de « décomposition de l’objet sonore », objectif qu’il évoque dans ses propres articles.

Selon le témoignage de cette analyse, cet objectif est atteint. Le compositeur est parvenu à définir un nouveau « comportement des objets sonores dans un discours musical », des éléments d’une écriture et d’un langage nouveaux qui permettent d’introduire une nouvelle « sociologie des comportements musicaux ». Autrement dit, il a pu assigner des signifiés, dans le contexte d’une œuvre donnée, aux éléments de ce nouveau langage qu’est l’interactivité.

L’analyse a décelé au moins trois formes, trois manières dont l’interactivité renouvelle ou « révolutionne » le langage symbolique de la communication musicale :

La modification « la plus traditionnelle » consistait à multiplier les possibilités d’expression relatives aux paramètres musicaux exploités depuis des siècles dans l’écriture instrumentale. Au cours de l’exposition de l’œuvre (sections I-III), nous avons pris connaissance de l’augmentation, de l’accroissement des possibilités de la « variation thématique » et de la variation-évolution d’un discours construit sur des principes de dialogue, de « concertation » (voir l’augmentation, l’enrichissement de durée, de registres, de timbres, de spectres, de dynamique ainsi que de voix poly- et multiphoniques au cours de dialogues entre la flûte et la 4X). C’est surtout dans les sections de l’exposition I/B et C et III/C, D, F qu’on rencontre parfois une écriture trop simplifiée, voire entièrement gratuite, dans la partie de la flûte, dont l’unique rôle serait de donner « des voix, des notes prétextes » à l’introduction et à la démonstration des moyens de ce nouveau dialogue avec les effets de virtuosité et de « multiplications » du système en temps réel.

  1. En ce qui concerne le renouvellement du langage instrumental complété de sons multipliés par le système de traitement en temps réel, la deuxième « trouvaille » est la construction d’un environnement sonore où la flûte crée elle-même son ambiance « spatiale » statique ou mouvante. En parallèle, il lui incombe aussi de peupler cet environnement de gestes, de monologues ou de mouvements virtuoses. Ce sont les sections de type « interrogation », construites sur le motto décrivant le nom de Larry Beauregard, qui participent à la naissance de cet environnement spécial, engendré par la multiplication, la transposition, la prolongation et transformation des sons de l’instrumentiste soliste (IV, VII, XI, XIV).
  2. Le dernier stade, le plus important, de l’établissement d’un nouveau langage hiérarchisé est la série de variations, de développements-évolutions et des d’accumulations-intégrations des signifiés observées au cours du « développement » de Jupiter. Ici, la réalisation de ces principes formels et de principes artistiques symboliques hérités du passé se place dans la « dimension » timbrale et spectrale des objets sonores, c’est-à-dire dans une troisième et nouvelle dimension du discours musical renouvelé. La variation des thèmes, le développement du contraste motivico-thématique, l’évolution des relations élémentaires se déplacent, se transposent au niveau de la hiérarchie des objets sonores : le phénomène s’observe aussi bien dans une situation de confrontation (V, IX, X) que dans une série de variations à finalité positive ou négative (VI, XII) que dans l’emprunt des techniques et des genres musicaux les plus traditionnels comme le cas canon ou le fugato (VIII, X).

Le renouvellement de ce langage électroacoustique se manifeste par la rencontre d’une hiérarchie d’objets sonores nouveaux, d’une part, et par l’intervention, ou plutôt le pilotage en temps réel de l’instrument acoustique, d’autre part. Celui-ci peut « guider » les processus sonores nouveaux, comme :

– l’intervention rythmique dans les sections à interpolations (V, IX, XIII) ;

– le « filtrage » de la synthèse additive, filtrage effectué à l’aide de changements de dynamique, de registres dans la partie de flûte (VI, XII) ;

– la composition d’un jeu d’alternance ou d’une écriture polyphonique entre la flûte et les objets sonores échantillonnés des sections précédentes et les objets préenregistrés. (VIII, IX, et X).

Jupiter montre que l’exploitation d’une technologie nouvelle, développée à un moment donné de l’histoire, donne à l’artiste une possibilité d’imaginer, « d’halluciner », de créer de véritables paysages d’énergie et de jouer avec ces paysages, tout en ayant recours aux principes formels les plus rigoureux, des plus anciens jusqu’à ceux qui n’ont pas encore été inventés.

Il reste à l’artiste lui-même, comme le montre Philippe Manoury, à se mesurer à tout moment à cette liberté, à la fois merveilleuse et accablante.

[1] Je remercie Marc Battier qui, en 1991, m’a confié la rédaction de ce texte en vue de la documentation analytique de l’IRCAM, et il m’a fait parvenir tous les textes accessibles à l’époque.

[2] Avec la collaboration de Miller Puckette, Olivier Koechlin, Thierry Lancino, Cort Lippe, Marc Battier. Lors de la création, le flûtiste était Pierre-André Valade ; le contrôle 4X a été assurée par Miller Puckette.

[3] Philippe Manoury, « La part consciente », in Conséquences, n° 7-8, l986.

[4] La première version de cet article a été écrite en 1992.

5 Voir les définitions axiomatiques de Propp, de Greimas et de Lévi-Strauss dans l’article d’E. Meletinsky : « L’étude structurale du conte merveilleux », in V. Propp, Morphologie du conte, Seuil, l970.

6 E. Hankiss : Az irodalmi mü mint komplex modell (L’œuvre littéraire comme modèle complexe), Magvetö, Budapest, l984, pp. 325-326. (Traduction par nos soins.)

[7] E. Hankiss, op. cit., pp. 336- 338.

[8] Eero Tarasti, « Pour une narratologie de Chopin », in IRASM, n° l5, l984, l, pp. 56-57. (Le même article a été repris plus tard dans le livre français d’E. Tarasti : Sémiotique musicale, PULIM, Limoges, 1996.)

[9] Philippe Manoury, « La note et le son : un carnet de bord », in Contrechamps, n° 11, « Musiques électroniques », l989, pp. l54-l55. L’article publié également dans Tod Machover (dir.) : L’IRCAM : Une pensée musicale, Paris, Éditions des Archives Contemporaines, 1984, pp. 157-166. (C’est moi qui souligne, M.G.)

[10] Depuis la rédaction de cet article, plusieurs tentatives approchant ce type de réflexion ont vu le jour : nous pensons, entre autres, aux ouvrages consacrés aux UST (Unités Sémiotiques Temporelles), ou encore aux livres-DVD de François Bayle publiés chez Magison depuis 2004.

[11] P. Manoury, op.cit., p. l58 (C’est moi qui souligne, M.G.).

[12] P. Manoury : op.cit., p. l58.

[13] Philippe Manoury : « Jupiter et le projet Flûte 4X », manuscrit, avril l990, p. 4.

[14] Philippe Manoury : « De l’incidence des systèmes en temps réel sur la création musicale », manuscrit, p. 4.

[15] Ibid., p. 5. (C’est moi qui souligne, M.G.)

[16] Transpositions à partir d’un seul son de la flûte.

[17] S.T.R. : « Station en temps réel ». Actuellement, en 2013, S.T.R. se définit comme un ensemble de capteurs, logiciels et diffuseurs (dans le cas de Jupiter : un micro, un ordinateur utilisant les logiciels soit Max-MSP soit Pure Data [Pd]) et un système de diffusion (console multipiste et haut-parleurs).

[18] Philippe Manoury, « Jupiter et le projet Flûte 4X », op. cit., pp. 3-4.

[19] Un des critères de matière, d’après les critères morphologiques de Pierre Schaeffer. Pour sa présentation succincte, voir le chapitre « Décrire les objets sonores (morphologie) » du livre de Michel Chion : Guide des objets sonores, INA-Buchet Chastel, Paris, 1983, pp. 140-166.

[20] Cette technique consiste à obturer le trou d’embouchure avec la langue puis à le libérer pendant que l’on souffle brutalement. Le son produit sonne une septième majeure au-dessous de la note normalement entendue par le doigté utilisé.

[21] M. Battier : « Jupiter pour flûte et 4X de Philippe Manoury », in: Rapport Annuel de l’IRCAM, l986, p. ll2.

[22] Philippe Manoury, « Jupiter et le projet flûte 4X », p. 3.

[23] Ce mot, d’origine allemande, désigne, dans le jeu des instruments à vent, un coup de langue répété à une cadence très rapide, une sorte de roulement lingual qui produit un effet de trémolo.

[24] Le dispositif de la VIIe section: réverbération infinie + harmonizers.

[25] Notes du compositeur sur la 18ème page de la partition (Durand-Universal Music Publishing, 1991).

[26] Dans la partie électronique de VIII/A : « sons de Tam-tam échantillonnés » (note de la page 23 de la partition).

[27] La partie S.T.R. utilise les sons de tongue-ram de flûte basse échantillonnés (voir : page 30 de la partition).

[28] Son de S.T.R marqué « modulation spectrale » à XII.A, 1 (page 32 de la partition).

[29] « … Et la musique », Entretien de Pierre Boulez, Patrick Greussay avec Philippe Manoury, in Traverses, n° 44-45. Éditions du Centre G. Pompidou, Paris, 1988, pp. 130-131. (C’est moi qui souligne, M.G.).

[30] Dans le sens rhétorique, c’est-à-dire une phrase musicale « ouverte », sans résolution de la dissonance.

[31] C’est-à-dire ayant une sonorité « quasi orgue ».

[32] Accroissement dynamique, énergétique et spatial.

[33] Philippe Manoury, « Le transitoire et l’éternel ou le crépuscule des modernes ? », in Inharmonique, n° 7, février l99l, pp. 280-287, repris dans P. Manoury : La Note et le son, op.cit., pp. 109-120.