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Sur le projet SKALA

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1.0 L’origine du projet « Skala ».

À l’origine, le projet Skala était une « signature sonore » devant être installée à La Scala à Paris, un complexe comprenant une salle de concert et un restaurant. Pour différentes raisons, ce projet n’a pas aboutit, mais le système que j’ai élaboré à cette occasion est toujours existant et c’est sur sa description que je vais me pencher dans ce texte.

1.1 Une œuvre musicale sur une année entière.

La principale idée de cette installation sonore a été de mettre au point un système de composition électronique totalement automatique qui devrait pouvoir fonctionner sur une année entière. Le programme, écrit avec le logiciel Max/MSP a été fabriqué par Thomas Goepfer et j’ai écrit la partition électronique proprement dite dans le logiciel Antescofo mis au point par Arshia Cont. Il ne s’agit pas d’une musique de concert, ni d’un enregistrement d’une œuvre électronique, mais d’une musique qui se compose « en temps réel » et doit évoluer de façon autonome dans le temps. Ce projet est conçu pour se dérouler sur une année entière suivant des règles qui changent toutes les 5 minutes. Tout comme le Finnegans Wake de Joyce où la dernière phrase se termine dans celle qui ouvre le livre, créant ainsi une forme circulaire, Skala n’a ni début ni fin. Elle est conçue comme une structure périodique dans les changements d’états successifs qui donneront naissance à la musique. Qu’est-ce qu’un état ? C’est simplement un corpus de règle particulière qui rendront possible un engendrement automatique de structures musicales qui se calculent en temps réel. Lorsque je parle de périodicité, je mentionne que les paramètres qui vont déterminer les grands contours de cette musique se retrouveront à l’identique à chaque même jour d’une année. Par exemple tous les 16 juin de chaque année à 12h05 une même structure de paramètres sera utilisée, et ainsi de suite pour tous les autres jours et toutes les tranches horaires. Pour qu’un état se reproduise, il faudra attendre 525599 changements, à raison d’un changement toutes les 5 minutes. Mais, comme nous le verrons plus tard, ces paramètres étant utilisés pour jouer pour des musiques basées sur des chaînes de probabilités, une musique ne pourra jamais se reproduire à l’identique.

1.2 La non-reproductibilité est-elle synonyme de chaos ?

Non si l’on prend le terme « chaos » comme l’expression d’un désordre total. Lorsque je dis qu’une musique ne pourra jamais se reproduire à l’identique je veux souligner que les règles de composition qui engendrent ces musiques revenant, elles, sur des positions identiques à des moments particuliers, produiront des musiques certes, non rigoureusement identiques, mais obéissant aux mêmes grands principes. Cela peut être « musique lente, avec des sons longs, dans des dynamiques faibles, sur des registres graves, avec une prédominance d’intervalles de tierces » ou bien « musique très rapide, avec des sons courts, répartis sur des dynamiques contrastées, dans un registre plutôt aigu, avec des prédominances intervalliques sur la seconde mineure », etc. Toutes ces musiques, ainsi regroupées en une somme de morphologies bien déterminées, auront tendance à se ressembler, quand bien même aucune d’elles ne sera totalement identique aux autres.

1.3 La principale différence entre une musique de concert et une musique pour une installation.

La grande différence est liée au type de temporalités qui sont induites dans ces deux cas. Une musique de concert est une œuvre dont chaque moment est « voulu » par un compositeur, ou du moins devrait l’être. Comme un roman ou une nouvelle, une composition musicale pour un concert possède un début et une fin, et chaque instant a été pensé et organisé dans le but d’exprimer une situation bien particulière. Une installation, en cela plus proche des arts visuels, ne possède pas de début ni de fin. Sa temporalité commence lorsqu’un spectateur pénètre dans le lieu où l’installation est diffusée, et se termine lorsqu’il décide d’en sortir. Ce type de perception, comme je l’évoquais, se rapproche plus de celui des arts visuels dans lesquels le temps est celui du spectateur et non celui de l’œuvre. Je décide de la durée au cours de laquelle je vais regarder ce tableau. En revanche, une musique ou un film imposent une temporalité au spectateur. L’œuvre dure 36 minutes et, si je décide de la suivre, je ne suis plus maître de mes horloges personnelles.

1.4 Les conséquences dans le domaine de la composition.

Les compositeurs se sont toujours servis de règles de composition, c’est bien connu. Il n’empêche que dans bien des cas ils sont amenés à prendre des décisions qui ne sont aucunement décrites dans des règles préalables. On peut parler alors de règles implicites. Il existe toujours ce mélange de rigueur et de liberté qui fait justement l’originalité de la plupart des grands compositeurs. Dans le cas d’une œuvre qui doit se dérouler sans discontinuité sur une année entière, on imagine bien qu’il est impensable qu’un compositeur puisse prendre des décisions à chaque instant. Cela doit être le fruit d’un automate qui devra décider entre plusieurs choix suivant la situation présente. Mais quel est le statut de ces règles ? Elles peuvent être, bien sûr, tout à fait arbitraires, comme peut l’être une décision initiale, dans ce cas, on parlera d’un axiome. Mais elles peuvent aussi agir en fonction d’une situation particulière. Une musique peut être produite par différents agents et suivre un parcours sinueux en raison de la complexité de la relation entre ces différents agents. Dans un tel cas une règle peut analyser certains aspects de la musique ainsi engendrée et, si une situation particulière est repérée – par exemple un son se trouvant à un endroit particulier de l’espace physique -, produire à son tour une action sur les évolutions et les directions que vont prendre les autres sons. Dans ce cas ce sera une règle réactive, qui n’agira qu’en fonction de ce qui existe déjà.

1.5 Le matériau initial de « Skala ».

Comme le titre l’indique, j’ai pris comme base de départ une génération d’une suite de hauteurs regroupées sous une forme scalaire. Plusieurs systèmes d’engendrements et de transformations d’échelles musicales seront à l’œuvre. Ces échelles seront des bases sur lesquelles évolueront des structures mélodiques. Rappelons rapidement qu’une échelle modale (le terme pouvant être étendu à n’importe quel ensemble de sons ordonnés du grave à l’aigu) se caractérise par une absence d’ordre dans la succession de ces sons. Ainsi les 720 mélodies possibles comprenant les 6 sons d’une gamme par tons entiers contenus dans une octave vérifient toutes leur appartenance à cette dite gamme par tons. C’est donc le contraire d’une gamme tonale ou d’une série dodécaphonique dans lesquels l’ordre des sons est signifiant. L’ordre de succession des sons prélevés dans les échelles de Skala sera soumis à un procédé aléatoire connu sous le nom de « Chaînes de Markov ». Il consiste à constituer des parcours mélodiques en attribuant des probabilités de successions entre les sons. Les parcours mélodiques ainsi constitués auront un but bien précis que j’expliquerai plus tard. Voici d’abord les différents niveaux de cette organisation des échelles sonores.

2.0 Les échelles de « Skala ».

Comme ce projet doit couvrir une année entière, il a d’abord été nécessaire  d’organiser les échelles suivant des temporalités différentes. Ainsi il y aura les échelles réparties pour chaque jour de la semaine : les W-Scales (W pour Weeks), d’autres pour chaque jours de l’années : les D-Scales (D pour Days), d’autres encore pour chaque heures du jour : les H-Scales (H pour Hours), et enfin d’autres pour les tranches de minutes : les M-Scales (M pour Minutes). Ces échelles seront alors calculées suivant plusieurs algorithmes comme on va le voir maintenant.

2.1  Les W-Scales

Ces échelles sont associées à un jour particulier de la semaine. Le procédé d’engendrement, que j’utilise depuis longtemps, consiste à créer des échelles couvrant un ambitus de 2 octaves par criblage d’une gamme chromatique. C’est extrêmement simple. La première opération consiste à séparer la gamme des 12 sons en deux ensembles (pas forcément égaux). Ici nous avons ensemble avec les sons 1, 2, 5, 7, 8 11 et 12 puis un autre comprenant les sons 3, 4, 6, 9 et 10 : 

Description: Capture d’écran 2018-04-15 à 16

La seconde opération consiste transposer l’un des deux groupes à l’octave supérieure :

Description: Untitled-1

On obtient ainsi un crible contenant les 12 sons du total chromatique se répartissant sur 2 octaves avec les intervalles suivants (du grave à l’aigu) : 1-3-2-1-3-1-3-1-2-3-1.

J’aurais pu obtenir une échelle différente si j’avais octaviés les deux groupes dans l’autre sens : 1-2-3-1-3-1-3-2-1-3-1. 

Si le crible avait porté sur une séparation des numéros pairs et impairs j’aurais obtenu les deux gammes par tons entiers l’une à la suite de l’autre.

2.2 Les 7 W-Scales

Voici ici les 7 cribles correspondants aux 7 jours de la semaine. Sur la partie gauche figurent le criblage,  et sur la partie droite l’échelle correspondante. Il y a un crible différent pour chaque jours et il n’existe aucune relation de déduction entre un crible et un autre :

 

2.3 Les D-Scales

À partir de ces W-Scales seront déduites 365 (ou 366) D-Scales, une pour chaque journée de l’année. Tous les exemples qui suivront seront données à partir de la W-Scale du Lundi, mais bien évidemment, toutes ces opérations seront identiques pour chacune des autres échelles.

Puisque nous sommes dans un système chromatique à 12 transpositions, j’ai d’abord divisé le nombre de semaines (52) en 12 groupes composée de 4 ou 5 éléments : 

{1 2 3 4} {5 6 7 8} {9 10 11 12} {13 14 15 16} 

{17 18 19 20} {21 22 23 24} {25 26 27 28} {29 30 31 32}

{33 34 35 36 37} {38 39 40 41 42} {43 44 45 46 47} {48 49 50 51 52}

Chaque numéro correspondant au numéro du jour dans l’année, ainsi {1 2 3 4} correspondra au 1er, 2ème, 3èmeet 4èmelundis de l’année etc.

La raison de cette division en 12 groupes est facile à comprendre. Puisque nous avons toujours un total chromatique dans ces échelles, si nous leur appliquons une permutation circulaire, nous aurons 12 nouvelles formes pour chaque échelle.

Si nous reprenons la W-Scale du lundi, avec les 11 intervalles que voici : 

1 3 2 1 3 1 3 1 2 3 1 :

Description: Untitled-2

En partant de cette échelle et en permutant les intervalles de manière circulaire nous obtenons celle-ci : 3 2 1 3 1 3 1 2 3 1 1  

Description: Untitled-3

Voici ici les 12 échelles dérivées qui seront associées aux 12 groupes suivants : 

1 3 2 1 3 1 3 1 2 3 1   associée au groupe {1 2 3 4}

   3 2 1 3 1 3 1 2 3 1 1   associée au groupe  {5 6 7 8}

      2 1 3 1 3 1 2 3 1 1 3   associée au groupe {9 10 11 12}

         1 3 1 3 1 2 3 1 1 3 2   associée au groupe {13 14 15 16}

            3 1 3 1 2 3 1 1 3 2 1   associée au groupe {17 18 19 20}

               1 3 1 2 3 1 1 3 2 1 3    associée au groupe {21 22 23 24}

                  3 1 2 3 1 1 3 2 1 3 1    associée au groupe {25 26 27 28}

                     1 2 3 1 1 3 2 1 3 1 3    associée au groupe {29 30 31 32}

                        2 3 1 1 3 2 1 3 1 3 1   associée au groupe {33 34 35 36 37}

                           3 1 1 3 2 1 3 1 3 1 2   associée au groupe {38 39 40 41 42}

                              1 1 3 2 1 3 1 3 1 2 3   associée au groupe {43 44 45 46 47}

                                 1 3 2 1 3 1 3 1 2 3 1   associée au groupe {48 49 50 51 52}

Maintenant, que va-t-il se passer à l’intérieur d’un groupe comme {1 2 3 4}. La solution est simple. Il utilisera la même échelle, mais qui sera transposée sur 4 hauteurs différentes, ou 5 si le groupe comprend 5 éléments.

Voici un tableau montrant les 12 premières échelles correspondantes aux 12 premiers lundi de l’année :

En réalisant les mêmes opérations pour les 6 autres échelles correspondantes aux autres jours de la semaine, nous obtenons ainsi les 365 (366) D-Scales.

2.4  Les H-Scales

Il faut maintenant organiser les échelles correspondantes aux heures des journées. Comme le destin fait bien les choses, nous raisonnons encore en base 12 ! Pour cela il nous faut revenir à la technique de criblages évoquée pour la génération des W-Scales. Je repars a dessein de la première échelle, correspondante au premier lundi de l’année pour expliquer ce procédé. Chacun des criblages correspond à un jour de la semaine particulier donnera une échelle précise qui devra se décomposer en 12 échelles dérivées (je compte ici en base 12 et assimile midi à minuit) que j’ai obtenues en décalant le crible sur la droite de façon lui faire parcourir les 12 positions possible sur ce total chromatique. Voici les premiers décalages où l’on voit le crible (ici noté en valeurs blanches) se déplacer à chaque fois vers la droite, c’est-à-dire transposé au demi-ton supérieur :

Description: Capture d’écran 2018-04-15 à 17

Et voici maintenant les échelles correspondantes, suite au décalage de ces cribles vers la droite :

Description: Untitled-5

Voici ici la liste des échelles pour différentes heures successives de cette même journée :

2.5 Les M-Scales

Nous arrivons maintenant à la découpe le plus fine du temps de ces échelles, celles qui se modifieront en fonction des minutes. Pour rester dans cet agencement chromatique, la première chose à faire a été de découper l’heure en 12 tranches de 5 minutes. Toutes les 5 minutes donc, une nouvelle échelle apparaîtra, dont les origines sont à trouver dans l’heure du jour, dans le jour de la semaine ainsi que dans le numéro du jour dans l’année. Le propre d’une distribution scalaire est d’être périodique. Tous les modes ecclésiastiques prennent un nom différent suivant leurs notes de départ, mais obéissent tous à la même structure interne (la gamme diatonique). Il s’en suit que l’ordre des intervalles qui les composent change d’un mode à l’autre. C’est suivant ce principe que j’ai déduit les 12 échelles dérivées de chaque H-Scales. C’est, en partant du degré 1 et en descendant sur les degrés 12 à 8 puis en montant sur les degrés 2 à 7 que j’ai obtenu les 12 transpositions d’une même H-Scale sur ses propres degrés qui seront actives toutes les 5 minutes. Dans l’échelle dont je me suis servi dans tous ces exemples, les notes initiales qui serviront d’axe de transpositions des 12 M-Scales sont : do, la, sol#, fa, mib, ré, do#, me, fa#, sol, sib, et si bécarre :

Description: Untitled-8

Pour faire dériver les autres échelles à partir de ces sons, j’ai appliqué le procédé de la permutation circulaire déjà présenté à propos des D-Scales. Voici,  dans le tableau suivant, les 12 dérivations d’échelles pour chaque tranche de 5 minutes qui seront donc actives entre 11h et midi les premiers lundi de chaque année :

Description: Untitled-9

 

Voici une petite vidéo montrant le système en marche très rapide (156 ms à la place des 5 minutes) pour chaque changement d’échelles en fonction du numéro de la semaine dans l’année, du jour dans la semaine, de l’heure dans le jour et de la tranche de 5 minutes dans l’heure. En prêtant attention, on remarquera que la suite des heures est comprise entre 11h du matin et 1h du matin suivant. La raison est que c’étaient les horaires d’ouverture du lieu où devait être installé Skala. Mais il est tout à fait possible de faire tourner ce système sur 24 heures en continu. Ici, pour la démonstration, je n’ai filmé que la tranche comprise entre le vendredi à 23h00 et le dimanche suivant à 15h35 dans la première semaine de l’année. Mais bien entendu, le système couvre les 52 semaines de l’année et tous les jours de chaque semaines.

 

 

3.1 Pourquoi toutes ces échelles ?

Ces échelles peuvent avoir de nombreuses fonctions. Elles peuvent servir de socles à des fragments mélodiques qui viendront se greffer dessus, elles peuvent aussi être utilisées comme un matériau harmonique dans lequel on viendra puiser des hauteurs pour construire des accords. Comme dans n’importe quelle autre construction modale, on peut y trouver des symétries, des morphologies particulières, des constantes intervalliques, etc. Dans Skala, j’ai utilisé les chaînes de Markov pour composer ces mélodies à partir des échelles. C’est-à-dire, qu’il va sans cesse se produire des balayages des échelles dans un ordre aléatoire, mais très contrôlé. Mais avant de regarder ces constructions mélodiques, voyons de quoi elles vont être le support.

3.2 La synthèse 3F.

Les sons de synthèse utilisés dans Skala proviennent d’un algorithme que Miller Puckette a mis au point pour moi en 2006 et que j’ai utilisé depuis dans la plupart de mes compositions avec électronique[1]. Ce modèle de synthèse est basé sur un calcul de spectre sonore à partir de 3 fréquences de bases, et c’est pour cette raison que je lui ai donné le nom de « Synthèse 3F » . Je ne vais parler ici que de l’engendrement des fréquences et non pas de leurs courbes d’amplitude et autres attributs sonores.

3.2.1 Le calcul des fréquences.

L’idée de base est la suivante. On prend 3 fréquences f, g et h et on prend toutes les sommes possibles de toutes des fréquences f, 2f, 3f, 4f… avec g (2g, 3g…) et h (2h, 3h…) 

f 2f 3f 4f….

g (f+g) (2f+g) (3f+g) (4f+g)…

2g (f+2g) (2f+2g) (3f+2g) (4f+2g)… 

h (f+h) (2f+h) (3f+h) (4f+h)…

(g+h) (f+g+h) (2f+g+h) (3f+g+h) (4f+g+h)…

(2g+h) (f+2g+h) (2f+2g+h) (3f+2g+h) (4f+2g+h)…

2h (f+2h) (2f+2h) (3f+2h) (4f+2h)… 

(g+2h) (f+g+2h) (2f+g+2h) (3f+g+2h) (4f+ g+2h)…

(2g+2h) (f+2g+2h) (2f+2g+2h) (3f+2g+2h) (4f+2g+2h)…

On prend ensuite les résultats de toutes les différences entre ces ensembles mais, pour éviter une trop grande densité, on ne prendra que les valeurs absolues de ces calculs ce qui donne : 

1:         f   g   h
2:         2f  (f+g) (f-g) (f+h) (f-h) 2g (g+h) (g-h) 2h
3:         3f  (2f+g) (2f-g) (2f+h) (2f-h) (f+2g) (f+g+h) (f+g-h) (f+2h) (f-2h) (f-g+h) (f-g-h)3g (2g+h) (2g-h) (g+2h) (g-2h) 3h 

3.2.2 La répartition des fréquences suivant un indice de probabilité.

Ensuite intervient un paramètre de probabilité qui, lorsqu’il est à 1 donne les premières fréquences du spectre. Par exemple si nous voulons 6 fréquences ce sera les 6 premières fréquences du spectre qui seront sélectionnées :

1 2 3  4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28…

Lorsqu’on descend l’indice de probabilité, les 6 fréquences seront choisies aléatoirement dans un ambitus plus large :

1 2 3  4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28…

Si on le baisse encre, on ira chercher des fréquences encore plus éloignées :

1 2 3  4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28…

Et ainsi de suite :

1 2 3  4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28…

Voilà pour les principes généraux. Quelles sont maintenant les spécificités musicales que l’on peut tirer d’un tel système ?

3.2.3 Harmonicité et inharmonicité

Il me semble qu’un des premiers avantages de ce type de spectre est qu’il permet de relier les dimensions harmoniques et inharmoniques dans un même objet. Je vais m’expliquer en donnant des exemples sonores. Dans le cas suivant les 3 fréquences de base choisies pour le calcul des spectres sont (en notation MIDI) : 72, 76 et 79. On reconnaît ici les 3 notes formant un accord de Do majeur, choisies ici à dessein pour que l’oreille puisse bien l’identifier. Avec un indice de probabilité à 1 et un choix de 16 fréquences, ce seront les 16 premières fréquences du spectre qui sera ainsi calculé et tous les sons seront donc identiques :

L’exemple suivant montre le résultat avec un indice de probabilité à 0.6 suivant lequel on entendra toujours la même famille harmonique (Do majeur) mais on percevra nettement que ces spectres ne sont plus identiques, certains faisant résonner des partiels qui n’appartiennent pas aux autres :

En continuant de baisser cet indice (ici à 0.16), nous obtenons des spectres de plus en plus différents les uns des autres, mais toujours avec cette toile de fond construite à partir de l’accord de Do majeur :

Enfin, l’indice étant ici à son minimum (0), les spectres seront très différents les uns des autres et la teneur en inharmonicité ici finira par détruire presque complètement les bases harmoniques choisies au départ. Celle-ci se laissant juste deviner comme en filigrane. Je ne change rien aux 3 fréquences, c’est uniquement la répartition aléatoire des fréquences spectrales dans des régions très éloignées, due à la baisse de l’indice de probabilité, qui est responsable de ce phénomène :

Voici maintenant un balayage rapide de spectres dont les bases sont accordées sur les notes La et Mi :

 

3.2.4 La synthèse 3F accordée sur des intervalles naturels.

Regardons ici une particularité de ce mode de synthèse. J’ai montré comment un accord parfait pouvait être « inharmonisé » jusqu’à se détruire presque complètement. Il me faut préciser ici que les notes choisies étaient toutes prélevées sur l’échelle tempérée en demi-tons égaux. Le résultat sera assez différent si, au lieu de choisir des intervalles tempérés, nous choisissons des intervalles naturels, c’est-à-dire des tierces et des quintes acoustiquement justes. Voici d’abird un premier exemple avec un accord de La majeur « tempéré » (c’est-à-dire en notation Midi 69, 73 et 76) balayé par la synthèse 3F. On entendra ici, comme dans l’exemple précédent, un fort degré d’inharmonicité :

Maintenant si nous accordons ces trois fréquences en intervalles naturels, ce qui donnera 69, 73.8631 et 76.0195, nous entendrons nettement que la teneur en inharmonicité sera beaucoup plus faible et que le sentiment de « consonance » en sortira renforcé :

 

3.3 Le balayage par les chaines de Markov.

 C’est ici que l’utilisation des échelles prend tout son sens. Lors de la production des sons de synthèse par le modèle 3F, la première des trois fréquences se promènera sur les notes des échelles calculées, tandis que les deux autres resteront fixes pendant la durée des diverses séquences. La manière dont les fréquences de ces échelles seront choisies suivra le modèle des chaînes de Markov. Voici, pour commencer, un exemple simple dans lequel les échelles seront modifiées toutes les 4 secondes et soumises à un balayage continu et rapide avec les probabilités de successions entre les pas de ces échelles contrôlées par les chaînes de Markov.

Pour que le phénomène soit bien saisi, j’ai volontairement accordé les 3 fréquences de la synthèse 3F à l’unisson, et limité le nombre de partiels des specrtes à 3, ce qui a pour effet que nous entendrons une seule note par specrtre, la fondamentale qui viendra se poser sur les notes de l’échelle en cours. Dans cette séquence, qui n’a pas de valeur musicale réelle, les échelles parcourues seront successivement celles-ci :

 

 

3.4 Comment construire des textures fluides à partir d’un système rigoureux.

J’ai précisé, plus haut, que cette exemple n’avait pas de valeur musicale. Mais il m’importe maintenant de montrer que, comme pour la musique écrite, les esquisses sont autant de pas que l’on fait pour parvenir à une expression musicale valable. Certaines fois, les prémisses ne paraissent guère encouragantes, mais, comme un sculteur taillerait un bloc de pierre informe pour en dégager une figure, les compositeurs parviennent à dégager une expression sonore à partir d’un matériau qui, au départ, peut être brut et mécanique. C’est le cas ici. Je vais montrer qu’avec des modifications successives, je vais parvenir à faire émerger une structure musicale qui aura perdu tout ce qui fait le mécanisme très primaire qui était celui de l’exemple précédent. Je veux insister sur le fait que je ne changerai absolument rien des promenades markoviennes sur les échelles successives, mais que je modifierai par petites touches les éléments qui définissent les sons de synthèse. Pour imager ce procédé, je diriai que le processus de composition restera le même quand les détails de l’orchestration et de la mise en forme eux, varieront. La première modification sera un nouvel accordage des 3 fréquences de base de la synthèse 3F. Ils étaient à l’unisson précédemment, ici il vont être accordés sur des tierces majeures successives. Un paramètre appelé « offset » permet de transposer les notes de la première fréquences à des intervalles précis. Ainsi, lorsque la première fréquence donnera 60, j’ajouerai 4 pour la deuxième et 9 pour la troisième, et j’obtiendrai donc un balayage des échelles avec des accords de quintes augmentés successifs et parallèles. Et pour donner un peu plus de brillance aux sons j’ai poussé le nombre de fréquences maximum pour chaque spectre à 13, ce qui aura pour effet de produire des harmoniques plus aiguës :

3.4.1 Contrôle du contenu spectral avec l’indice de probabilité.

L’ajustement suivant consistera à modifier graduellement le paramètre de probabilité qui, je le rappelle, permet d’obtenir des spectres plus diversifiés car, plus la valeur de probabilité sera basse, plus le choix des partiels pour être différend et atteindre des régions plus aiguës. Dans cet exemple, le paramètre de probabilité commence à 100, c’est-à-dire que pour un nombre fréquences maximum de 13 partiels, nous aurons les 13 premières fréquences calculées, à savoir la trasnposition des mêmes intervalles sur chacune des notes choises par les chîanes de Markov sur les échelles. A mesure que la séquence se déroule, l’indice de probabilité ira en diminuant et nous obtiendrons des spectres de plus en plus différents en ambitus et en contenus intervalliques :

3.4.2 Variation des amplitudes relatives à chaque partiels des spectres.

On ne peut pas dire que, jusqu’à présent, la qualité et l’intérêt musical aient véritablement progressé. Mais le pas suivant nous conduit vers ce que l’on peut appeler un progrès dans l’expression. Car, qu’est-ce qui gêne dans les exemples précédents ? À mon goût, il demeure encore trop de régularité et le côté mécanique, s’il a été un peu atténué, n’a pas encore disapru. Une caractéristique est responsable de cela : toutes les amplitudes de chacuns des spectres calculés sont pratiquement égales. C’est-à-dire que tous les partiels sont ramenés à la même valeur et nous obtenons une série de spectres plats. En baissant progressivement le paramètre « ampJitter » j’obtiens une distribution aléatoire des amplitudes respectives pour chaque sons, favorisant ainsi une plus grande variété et, du même coup, réduisant de façon assez nette ce sentiment « mécanique » qui était celui des exemples précédents :

3.4.3 Modification et variation des durées des sons.

Je vais maintenant faire un pas plus décisif dans la direction d’une recherche d’une plus grande variété sonore, puisque c’est cela, finalement, qui est à la base de tout ce processus. Deux éléments vont m’y aider. Après avoir différencier les contenus spectraux et les amplitudes relatives de chacuns des partiels les composants, c’est au domaine des durées des sons que je vais m’attaquer. En augmentant le coefficient des durées je vais obtenir des sons dont les temps de résonnance seront choisis dans une palette beaucoup plus large et non plus égales comme c’était le cas précédemment :

3.4.4 Irrégularité rythmique obtenue par filtrage

Enfin, une autre modification va être apportée dans les amplitudes globales des sons. Jusuqu’à présent la « vélocités » de chacun d’eux étaient fixés au maximum, c’est à dire la valeur de 127 (puisque nous parlons ici en notation MIDI). En baissant la valeurs minimum à 0 et laissant la valeur maximum à 127 j’obtiendrai un distribution aléatoire choisie entre ces deux bornes. Ce tratement aura également un effet intéressant de filtrage car, au lieu d’avoir ce déroulement rythmique très mécanique, j’aurai ici des « trous » et des sons d’intensités différentes :

 

3.4.5 Décalage du spectre

Un dernier arrangement consistera à donner une couleur différente aux sons avec un procédé très simple : le sons sera entendu tel qu’en lui même et aussi transposé. En le décalant soit vers l’aigu, soit vers le grave, on double les fréquences du spectre. J’ai choisi ici une transposition à la quarte augmentée (c’est à dire 6 demi-tons plus haut que l’original) :

Et voici le résultat final :

3.4.6 Exercice de « déconstruction » musicale.

Par ces différents réglages de paramètres j’ai réussi, en partant d’une esquisse macanique et très systématique, à créer une texture d’une grande fluidité qui semble se renouveler en permanence. Ce mode de fonctionnement est très important pour moi. Dans la plpart de mes compositions je me suis attaché à suivre une logique que je voualis la plus solide possible, parfois à la limite de la sévérité. Mais c’est dans les agencements des détails que je parviens à créer les conditions d’une écoute sensible sans, ceci dit, que la logique en soit brisée. Je vois dans cette manière de composer l’expression de la dialectique entre rigueur et liberté que j’ai tant apprécié chez bon nombre de compositeurs du passé. Et pour apporter une démonstration finale de ces différents processus et surtout une preuve que tout ce que j’ai présenté a été fait sans le moindre montage, qu’il s’agit bien de processus différents fonctionnant en temps réel, voici un dernier exemple qui remontera l’ensemble des processus en arrière. Je partirai cette fois du résultat final pour arriver à la première mouture. En d’autres termes, je déconstruirai pas à pas la structure finale pour retrouver l’esquisse première :

 

4.0 La composition par règles.

Je récapitule la situation :

  1. Nous avons un nouvel état toutes les 5 minutes. C’est-à-dire que les règles de composition vont changer ou évoluer à chaque nouvel état. Cela peut concerner un changement de tempo, une modifcation de la spatialisation, un nouveau réglage des paramètres de synthèse, ou toute autre action destinée à modifier le comportement des sons dans le temps ou dans l’espace.
  2. Les échelles calculées vont obéir à des procesus de déduction qui les renouvelleront toutes les 5 minutes. Avec les échelmles pour les mois, les jours, les heures et les tranches de 5 minutes, nous aurons une génération continue d’échelles qui se calculeront en prenant la date, le nom de la journée et le temps courant.
  3. Ces échelles serviront principalement à fournir des hauteurs pour engendrer des sons de synthèses par le procédé de la synthèse 3F.

Pour construire toute cette œuvre je dispose d’une série de 4 couches de synthèse 3F indépendante les unes des autres :

 

Chacune de ces couches est contrôlée par un processus de chaines de Markov qui lui est attachée :

 

Parallèlement à ce dispositif, j’utilise également un autre système de synthèse pour créer des sons d’origine instrumentales. Il s’agit du logiciel Synful inventé par Eric Lindemann :

 

Enfin je dispose de 6 canaux de spatialisation qui sont des instances du « Spat » de l’Ircam :

 

Je vais montrer maintenant comment s’organise ce type de composition par règles.

 

4.1 Une simple répétition d’une même note.

 

Le début est extrêment simple. Il consiste en une répétition « colorée » d’une même note. Voici comment cela sonne :

Il s’agit ici d’un balayage d’une échelle par une chaîne de Markov mais qui est comme condensée sur une seule note. Cela s’obtient en réduisant l’ambitus totale de l’échelle répartie sur 2 octaves et la condensant sur une hauteur unique. Voici un exemple d’un balayage couvrant la totalité de l’échelle tandis que l’abitus se rétrécit progressivement jusqu’ à se concentrer sur un « do ». Puisque les 3 fréquences de la synthèse 3F seront accordées à l’unisson, le clacul des spectres donnera donc un balayage sur les premières harmoniques naturelles de ce do :

Ici le balayage sera effectué dans un tempo beaucoup plus lent, avec une variation de la valeur minimum de vélocité, produisant un filtrage de certaines notes (cf 3.4.4)

et, pour le réglage de la synthèse une réduction des spectres à 3 partiels, une valeur du paramètre « ampJitter » au maximum pour avoir une grade variété dans les amplitudes relatives des partiels (cf 3.4.2) et un indice de probabilité au minimum pour avoir une répartition des fréquences la plus variée possible (cf 3.2.2) :


[1]Illud etiam pour soprano et électronique, les opéras La nuit de Gutenberg et Kein Licht, Echo-Diamonon pour piano électronique et orchestre, Tensio pour quatuor à cordes et électronique, Partita II pour violon et électronique, B-Partita pour violon, électronique et ensemble, et plus récemment Lab.Oratorium, pour acteurs, chanteurs, électronique et orchestre.