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Variation II : les accords alternés

L’alternance d’accrods entre main droite et main gauche est l’élément unificateur de cette variation et, mis à part un petit chamboulement, restera constant tout au long de celle-ci. Beethoven retrouve, dans cette variation, une partie du caractère initial de la valse de Diabelli. Le rythme ternaire l’y aide, mais c‘est surtout par la structure harmonique, qui est ici beaucoup plus proche du thème initial que l’était la variation précédente, que s’établit ce rapport. Si l’on se borne aux grandes lignes harmoniques, la première partie de cette variation n’offre aucune différence harmonique par rapport à celle de la valse. Ce n’est que par l’altération de certains accords, dus à une conduite des voix internes marchant par mouvements chromatiques, qu’il introduit une plus grande complexité harmonique. En voici un exemple à la mesure 12 dans lequel le mouvement chromatique de la basse construit un accord qui peut être interprété, soit comme un second degré majeur avec la quinte diminuée et septième, soit comme une sixième degré « bémolisé » avec la sixte augmentée :

La seconde partie, si elle obéit à la découpe en deux sections de 4 mesures sur la dominante puis sur  tonique (comme la valse), introduit vers la fin des irrégularités qui présentent de nouveaux accords qui auront  une grande importance dans la suite de ces variations. Le premier de ces groupes d’accords est d’ailleurs tellement audacieux que l’analyse en devient difficile. Celui qui termine la mesure 20 est probablement construit sur la base du la 7ème de dominante de do majeur, avec la quinte augmentée sur le « ré# ». Mais le « do bécarre » qui intervient à la basse n’est guère explicable dans ce contexte. Il l’est cependant dans un autre, que je dévoilerai plus tard. Les accords de la mesure suivante sont issus d’une 7ème de dominante sur la tonique (comme dans la valse) mais avec deux altérations différentes. La tierce de cet accord est « appoggiaturée » par un « ré# » à la partie supérieure, tandis que la fondamentale, à la basse, est brodée par un « ré b ». La double altération, montante et descendante, de cette même note, donne tout son caractère d’étrangeté à ces harmonies :

Il est très intéressant à les jouer lentement pour en apprécier toute la richesse. La répétition de ces accords, suivant en cela le procédé en séquences de la valse, est d’une grande ingéniosité. En 3 mesures, Beethoven donne à la fois une impression de stagnation et de progression. La main gauche ne bouge pas, la voix principale (fa – ré# – mi) non plus, mais la quinte et septième de cet accord de dominante sur le premier degré (sol et sib), progressent dans les registres plus aigus, comme nous le voyons ici :

Un second exemple de ces nouvelles harmonies intervient à la mesure 25. L’altération descendante de la quinte à la basse (dans l’accord de dominante sur le premier degré) produit un accord de quinte diminuée que nous retrouverons également dans d’autres variations.

 

Enfin, il faut noter le bref passage  dans une région qui sera de la plus grande importance au cours de cette œuvre : je veux parler de la médiante. Beethoven la mettra très souvent en valeur, trouvant son apogée dans ce moment, parmi les plus audacieux de toute l’œuvre, qui introduit le menuet final (voire mesure 161 et suivantes). L’accord de septième diminuée qui ouvre la mesure 27 aurait très bien pu aboutir sur un accord de dominante, comme le montre le premier exemple ci-dessous, mais se résout au contraire sur l’accord du troisième degré, celui de la médiante. Cette septième diminuée est en fait un septième degré, donc « la dominante de la médiante » comme indiqué ici dans le second exemple :

Cela dit, c’est dans le domaine de la construction mélodique que cette variation offre le plus d’intérêt. L’exemple suivant montre une extraction des mouvements mélodiques de la partie supérieure dans laquelle nous pouvons voir nettement une figure de 3 sons basée sur une tierce mineure descendante et un demi-ton montant :

La suite de ce passage montre deux idées. La première consiste en une utilisation de cette formule de 3 sons sous sa forme originale (en vert) et renversée (en rouge) :

    

La seconde idée, qui est plus originale, nous montre le refus de Beethoven d’obéir à la symétrie d’une répétition exacte de la même formule, telle qu’elle se présentait dans le thème. Nous voyons que la première séquence (les 2 formules en rouge superposées) est basée sur l’utilisation du le renversement de cette cellule, tandis que la suivante nous donne l’originale à la basse (en vert) et le renversement (en rouge) à la partie supérieure. Si Beethoven avait respecté la construction symétrique qui était à la base de cette progression dans la valse, nous aurions exactement la même construction dans les deux séquences suivantes. Or, nous voyons que la troisième séquence propose le contraire de la première : original à la partie supérieure et renversement à la basse, tandis que la quatrième échappe totalement à cette construction sur cette formule de tierce et seconde mineures.

Lors de la seconde partie de cette variation, nous retrouvons ces formules de 3 notes mais auxquelles Beethoven fait subir un traitement spécial. D’abord un canon rythmique entre les voix extrêmes, puis une contraction de la formue originale (en vert ci-dessous) dans laquelle la tierce mineure devient une tierce diminuée. Mais le plus étonnant est la formule de basse (notée en rouge) qui débute cette section :

Certes, harmoniquement nous pouvons la décrire comme l’appoggiature (do#) de la quinte, puis la septième de l’accord de dominante, mais cette formation mélodique ne nous est pas inconnue, puisque c’est une des composantes de cette valse :

Cependant, cette formule mélodique intervenait dans les secondes séquences de chaque section de la valse et non pas dans la première, comme c’est le cas ici. Beethoven cherche donc à rappeler un motif mélodique de la valse jusque dans les parties secondaires et le dissocie totalement de la place qui lui était assignée dans le thème originel. Nous avons ici, comme nous le verrons très souvent, un exemple d’une des principales avancées de cette œuvre dans le domaine de la variation (d’où le titre de « Veränderungen ») : le traitement séparé des éléments mélodiques, harmoniques et formels les uns par rapport aux autres. Ces éléments ne sont plus soudés les uns aux autres, mais agissent comme autant de constituants indépendants et autonomes.

 

Notons une particularité rythmique dans cette deuxième section. L’alternance entre main droite et main gauche, qui donne toute la cohérence à cette variation, est brisée lors des mesures 25 à 28 sous forme d’un petit canon rythmique :

Reste une question qui était en suspens : celle de l’intrusion de ce « do bécarre » dans le curieux accord de la fin de la mesure 20. L’explication que nous pouvons avancer donnera un éclairage sur la construction harmonico-rythmique de cette variation. Ce « do bécarre » anticipe sur l’accord qui suit qui est d’ailleurs presque le même. Notons l’étrangeté de cette harmonie : do, sol, sib, ré# et fa ! Ces deux dernières notes sont les appoggiatures supérieures et inférieures du mi (tierce de cet accord de septième de dominante) jouées au même moment !  Le fait que ce « do bécarre » anticipe sur l’accord suivant est une conséquence d’une construction qui prévaut dans une grande partie de cette variation et qui, d’une certaine manière appartient au thème. La petite figure qui inaugure la valse sous-entend l’accord qui suit : c’est du do majeur. Il est fort probable que Beethoven est étendu ce petit détail, que l’on appelle une syncope d’accord en harmonie, à l’ensemble de la pièce. On s’aperçoit en effet que dans les mesures 7 à 11, ainsi que de 23 à 29, les résolutions d’accords se font sur les seconds temps et non sur les premiers. Les troisièmes et premiers temps sont constitués par la même  harmonie. C’est peut-être ici l’explication de l’intrusion de ce « do bécarre » dans ce curieux contexte.