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Variation VI :

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Il s’agit ici, avant tout, d’une variation de virtuosité. Michel Philippot , dans son ouvrage (cf. préface), les a réunies sous l’appellation de « variations brillantes » et en dénombre dix : VI, VII, X, XVI, XVII, XIX, XXIII, XXV, XVI et XVII. Ces variations seront de conceptions harmoniques et formelles plus sages que les autres mais ne seront pas pour autant de simples exercices de virtuosités gratuites. Celle qui nous occupe ici présente quelques caractéristiques de transformations du thème qu’il nous faut analyser. La structure harmonique suit, à une petite exception près celle du thème de la valse de Diabelli, mais c’est dans l’agencement des figures que nous allons rencontrer une organisation très typique du Beethoven de la dernière période.

Le parti pris principal consiste à transformer la « rosalie » du thème en un trille qui lui sert d’anacrouse. Beethoven va conserver cet élément tout au long de cette variation. Le principe d’écriture qui soutient toute cette page est d’ordre de l’imitation polyphonique. Un motif, partant du trille et descendant sur un arpège brisé, se réparti en canon à l’octave entre la main droite et la main gauche :

La seconde phrase, à la dominante, effectue le même parcours à ceci près que l’arpège n’est plus brisé mais continu :

La période des « séquences » est toujours construite sur ce même modèle d’imitation entre les voix supérieure et inférieure qui prennent leur élan sur ce même trille, qui n’aboutit plus au demi-ton supérieur, comme c’était le cas au début, mais sur un intervalle de sixte montante. Nous voyons Beethoven respecter son dessin initial mais changer les distances entre les contours. Il suffit ici aussi de remplacer cette sixte par le demi-ton supérieur pour s’apercevoir de l’intérêt qu’il y avait à produire cette transformation :

Une première petite modification harmonique est produite dans la première séquence qui aboutit sur un accord de « fa majeur ». Lors de sa répétition, Beethoven le transforme subitement en « fa mineur » comme nous le montre le « la bémol » de la dernière mesure dans l’exemple suivant :

La raison de ce « fa mineur » est provoquée par l’arrivée de ce « la bémol » qui semble préparer le « fa# » qui va suivre. Lors de la seconde séquence, il reste, par contre fidèle à la même harmonie lors des deux répétitions :

La figure initiale de ces groupes de doubles-croches est basée sur une descente de trois notes conjointes et la continuation de cette succession de figures va maintenant se briser de deux manières. La première nous montre un déplacement de cette figure de manière différente dans les groupes de 4 notes :

Notons aussi l’octaviation du « si » lors de l ‘avant-dernière figure. Ce « si » est une borderie du do, mais au lieu de la placer au demi-ton inférieur, Beethoven la transpose à l’octave supérieure ce qui a pour but d’introduire le changement de registre qui suit dans le dernier groupe de 4 notes.

La continuation de ce mouvement perpétuel va encore se briser sous forme de « batteries » qui interrompent l’aspect conjoint qui prévalait jusqu’alors :

Si l’on regarde attentivement l’aspect mélodique de ces batteries en ne conservant que la note aiguë on s’aperçoit qu’il s’agit de figures articulées par groupes de 4 croches à l’intérieur du rythme ternaire qui est celui de cette variation. Ces quatre figures obéissent à des profils mélodiques que l’on peut répertorier comme :

a)    2 groupes de 2 notes descendantes conjointes

b)   2 groupes de 2 notes ascendant et descendant

c)    Même profil que a, mais le dernier groupe est disjoint

d)   Inverse de B, groupe descendant puis montant.

Mais il y a un autre principe d’organisation qui structure tout ce passage, c’est la répétition de la même note à chaque changement de mesure :

La seconde partie est le renversement de la première : les arpèges sont ici montants :

Cependant, lors de la seconde phrase, Beethoven varie l’intervalle qui succède au trille qui est différent entre les deux mains et même différent dans les deux groupes de la main gauche :

La période des séquences comporte, elle aussi, une modification de l’harmonie du thème. Si Beethoven avait écrit cela de manière « automatique » nous aurions eu quelque chose comme l’exemple suivant. La  première section à la sous-dominante fa, et la suivante à la dominante, comme dans le thème :

À la place de cette solution Beethoven prolonge l’harmonie de la sous-dominante pendant une mesure en la transformant, comme dans la première partie, en une sous-dominante mineure. Il n’y a donc plus de symétrie dans ces séquences et en faisant cela, Beethoven produit un effet de stagnation qui rend encore plus évident la montée qui va suivre :

Cette montée atteint les régions de l’extrême aigu du piano, régions qu’il va utiliser abondamment par la suite :

Je ne peux m’empêcher de rapprocher ce passage d’une autre œuvres pour piano de la dernière période : la Sonate en ut mineur opus 111. Les rapprochements entre les variations Diabelli et cette dernière sonate seront d’ailleurs assez fréquents lorsque nous arriverons à la dernière variation de ce recueil. Comparons les figures de la main droites qui termine cette variation avec celles que l’in trouve dans le premier mouvement de l’opus 111 : mêmes profils mélodiques, même progression vers l’aigu, même insistance à la répétition :

Une autre figure, celle de la main gauche à la mesure 9  ;

fait irrésistiblement penser à celle que l’on trouve également dans ce premier mouvement de l’opus 111 : 

Enfin, d’une manière plus générale, notons cette alternance de voix, passant sans cesse d’une main à l’autre, comme un contrepoint renversable, qui est très caractéristique de cette variation :

Et comparons la avec ce même principe, souvent utilisé dans la Sonate en Ut mineur. Il est vraisemblable que Beethoven se soit souvenu de cette sonate lorsqu’il composa cette variation, car les parentés ne sont certainement pas dues au simple hasard.