La variation X semble clore ce qui serait peut-être un premier chapitre de ce grand cycle. C’est une des hypothèses que présente Michel Philippot dans son ouvrage (voire préface). Je ne suis pas loin de m’y rattacher. Cette variation s’enchaîne à la précédente, mais n’offre aucune continuité avec la suivante. La question qu’il va falloir se poser, à la toute fin, est bien celle de l’agencement formel de ces variations car, compte tenu des nombreux couplages et renvois qui émanent de cette suite de pièces, il est impossible que leur agencement ait été le fruit du hasard. Je ne prétends pas qu’un plan formel ait été arrêté au départ de cette composition, nul ne le saura jamais, mais qu’au fur et à mesure de l’avancée de sons travail Beethoven ait organisé l’ordre de ces variations, cela ne semble pas faire de doutes. André Boucourechliev prétendait que cette œuvre était une des prémonitions de la forme ouverte dans laquelle un ordre peut être changé en cours d’interprétation. Je pense que, malgré tout le talent et la perspicacité de ce fin analyste de Beethoven, la comparaison est un peu « tirée par les cheveux ». Bien au contraire, la tension qui, sans cesse, se maintient tout au long de cet ouvrage, semble être le résultat d’une mise en forme extrêmement structurée et précise. Je reviendrai sur ce problème à la fin de cette analyse.
Cette variation a tout l’air d’un final… à moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un scherzo rapide ? Il n’est pas rare que Beethoven termine certaines de ses sonates par de tels rythmes. C’est évidemment la forme qui, ensuite, permet de distinguer un final, très souvent un Rondo avec deux couplets, d’un scherzo, plus ramassé dans le temps. Que l’on pense au final de la Sonate en do majeur opus 2 n°3, et l’on aura peut-être un modèle de cette variation :
Bien qu’écrit dans un 6/8 et non un ¾, les deux pièces ne sont pas très éloignées, dans leur thématiques et leur caractère, l’une de l’autre. On y trouve ces montées et descentes sur des gammes conjointes d’Ut majeur, ainsi que la présence d’accords de sixtes en mouvements parallèles et conjoints.
La première chose qui frappe à la lecture de cette variation est qu’elle comporte 64 mesures et non 32. A l’audition cela se confirme par le fait qu’il s’agit de la première des variations qui ne comporte pas de reprises. Les reprises sont réécrites suivant des principes de symétries et de disposition des voix. La première phrase se compose d’une descente en octaves sur la gamme d’Ut majeur à la main gauche, accompagnée par des batteries d’accords à la main droite. Suivant la découpe du thème, nous avons une première partie sur la tonique, et la seconde sur la dominante :
La phrase séquentielle se divise en une première partie construite sur un mode de jeu sempre staccato e pianissimo :
La seconde partie substitue le staccato à un legato :
La « reprise », ou ce qui fait fonction de reprise, voit les parties inversées. Les octaves de la main gauche deviennent des accords de sixtes à la main droite, et les batteries de la main droite sont remplacées par un trille grave à la main gauche :
La raison de cette inversion est grandement due à un rééquilibrage des sonorités du piano suivant l’ambitus dans lequel ces éléments sont présentés. Les événements harmoniques sont toujours dans la main droite, que cela soit dans les batteries ou dans les accords de sixtes, mais le trille de la main gauche, qui répond aux batteries précédentes dans l’aigu ne contient, en lui-même aucune harmonie. Dans ce registre grave, l’harmonie n’aurait aucun sens car elle serait totalement brouillée. On sait l’importance que Beethoven accordait aux trilles en leur ôtant leur caractère ornemental pour en faire des éléments structurants. C’est le cas ici car, lors de la « reprise » de la phrase séquentielle ce trille grave sur le « sol » continue jusqu’à la fin de cette première partie :
La seconde partie retrouve la disposition du début : batteries à la main droite et octaves à la main gauche, mais ici les octaves se font en montant :
La phrase séquentielle, elle aussi, reproduit, du moins dans ses figures, les deux modes de jeu de la première partie. Une phrase staccato :
Et sa réponse legato :
La réécriture de la reprise, comme dans la première partie, commence sur le trille de la main gauche pendant que la droite fait des montées conjointes d’accords de sixtes parallèles :
Cependant la seconde phrase, va développer ce procédé de manière plus abrupte : le trille de la main gauche passe du « sol » au « do » et ne reste pas constamment sur la première note, quant à la main droite, elle abandonne les montées conjointes pour se déplacer parfois sur des intervalles de tierces et couvre ainsi un ambitus de trois octaves et demie :
Cette variation respecte grandement les harmonies initiales du thème, sauf lors des phrases en séquences ou elle s’écartent quelque peu du modèle, mais sans toutefois aller dans des régions très éloignées de l’original.